Porté par sa passion pour la Japon, Vincent a vogué de sa Dordogne natale jusqu’aux plateaux de télé japonais. Itinéraire d’un gaijin pas comme les autres.

les couvertures du Zéphyr

 

Pour préparer le 5e numéro de la revue du Zéphyr, “Le Japon mon amour”, j’ai longtemps creusé le web, à la recherche de Français qui rêvent en japonais. Une nuit, dans un coin du net, je suis tombé sur une perle rare : Vincent Giry, un des seuls frenchies à faire carrière sur le petit écran nippon. Je sollicite une interview par mail… sans réponse. Dommage.

Mais, voici qu’en plein bouclage du mag, Vincent m’écrit : un typhon au-dessus de Tokyo a bouleversé son emploi du temps, mais il est de retour ! Trop tard pour le papier, mais à temps pour un portrait sur notre site, basé sur une interview Whatsapp. Une première !

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De la Dordogne à Tokyo

L’histoire d’amour de Vincent avec le Japon débute à l’adolescence, devant Récré A2 et le Club Dorothée. Comme des millions d’ados, il reste scotché devant Goldorak, Dragon Ball, Sailor Moon, Les Chevaliers du Zodiaque… Les dessins animés seront le détonateur d’une passion qui ne le quittera plus. « J’ai alors commencé à m’intéresser à la littérature – notamment au poète Ihara Saikaku – et au cinéma japonais de Nagisa Oshima (réalisateur de L’Empire des sens en 1972, ndlr). »

À partir du lycée, il cherche à apprendre le japonais. Compliqué. « Étant originaire d’un tout petit village de Dordogne, aucun lycée du département ne proposait de cours de japonais. Ensuite, comme j’étais plutôt scientifique, mes professeurs ne prenaient pas au sérieux mon désir d’apprendre les langues, qui plus est la langue nippone. »

Malin et borné, Vincent, 13 ans, a donc inventé une véritable machination, pour partir à Bordeaux et rejoindre un lycée qui proposait un apprentissage des langues asiatiques. « J’ai affirmé que l’avenir était à l’international et que, même pour une carrière scientifique, l’anglais deviendrait indispensable et que je souhaitais donc intégrer la section internationale du lycée François Magendie à Bordeaux, sachant qu’on y enseignait aussi… le japonais. Me voilà donc à travailler mon anglais, pour intégrer une section internationale soit-disant à des fins scientifiques, tout cela juste pour pouvoir apprendre le japonais ». Pas de souci : son plan… fonctionne !

“Le Japon, c’est parfait pour moi”

Bac scientifique en poche, Vincent entre en… fac de lettres, spécialité “Langue et civilisation japonaises”. Il passe ensuite par Sup De Co (« Un passage qui ne vaut pas la peine d’être développé » : j’en saurai pas plus).

Il fera son stage de fin d’année d’école de commerce à Tokyo. C’est le coup de foudre. « Je me suis dit : « C’est ici ! » L’air, l’ambiance… C’est difficile à décrire, mais j’ai vite compris que le Japon convenait à ma personnalité.” Résultat : il s’y installe… Il n’en est plus parti depuis 20 ans.

Comment avez-vous décidé de devenir acteur ?

En fait, je suis un grand timide, avec un trac souvent irrépressible. Plus jeune, il m’était vraiment impossible de parler devant plus de quatre personnes sans perdre mes moyens. Au collège, j’ai essayé de me libérer de ça en faisant du théâtre.

J’ai continué au lycée, où j’ai participé à un festival européen aux Pays-Bas. Ce fut la première occasion pour moi de jouer dans une langue autre que ma langue natale. Et j’y ai trouvé une sorte de libération : cela m’aidait à faire tomber mes tabous et complexes.

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Je suis certain que beaucoup de jeunes Français rêvent actuellement de devenir acteurs au Japon. Comment avez-vous réussi ?

Je suis vraiment rentré par la petite porte. À l’époque – on est dans les années 2000 – la vie au Japon était beaucoup plus chère qu’en France. Et étant originaire d’un milieu modeste, il fallait que je trouve rapidement un moyen de gagner un peu d’argent. J’adorais le Japon et souhaitais y survivre. Mais je savais qu’il y avait des jobs de figuration pour les étrangers, dans les pubs et les sitcoms. J’ai donc frappé à la porte de plusieurs agents, qui m’ont donné quelques boulots de figu’, et de fil en aiguille, j’ai commencé à décrocher des rôles de plus en plus importants.

La chance, ça se mérite !

Sa première apparition en tant que figurant sera pour une publicité. La première fois qu’il découvre son nom dans un générique, c’est en 2001 pour le film Go. Il décrochera le rôle par hasard, à une soirée, chez des amis. « Alors que je discutais avec je ne sais qui, une dame m’accoste en me disant : « Je suis productrice, je fais un film, j’aime votre voix, faites la narration. » »

On le retrouve ensuite dans l’émission 24 Nin no Kato Ai. À la fin d’un show, le réalisateur lui balance : « Tu sais jouer, tu parles japonais, pourquoi te contenter de faire de la figuration ? Si je te revois devant la caméra, tu as intérêt à ce que ce soit en tant qu’acteur ! »

Cette engueulade paternaliste donne à Vincent le courage d’oser. « Ce réalisateur, qui est devenu un ami, a eu la gentillesse de me présenter à une agence d’acteurs qui me suit toujours. Ils m’ont décroché mon premier rôle en tant que personnage principal de l’épisode 8 du feuilleton Densetsu No Madam en 2003. »

Les premiers rôles s’enchaînent alors dans les sitcoms O-Banzai (2007) et dans le film Nodame Cantabile (2009), tiré d’un manga.

« Tu es plus connu que tu ne le penses »

 

Comment gérez-vous votre notoriété ?

Je n’ai pas l’impression d’être une star. Je vis de mon métier, mais modestement. Je ne suis ni un monstre d’ambition, ni un fêtard irréfréné. En revanche, il m’arrive d’être accosté dans la rue, ou que des amis me disent : « Tiens-toi quand même ! Tu es plus connu que tu ne le penses. » J’ai même vécu des problèmes de harcèlement des personnes un peu trop passionnées…

Un acteur japonais plus âgé m’a un jour dit : « Au Japon, il y a énormément d’acteurs, de personnalités de la télé… 90% ne gagnent rien, font des petits boulots à côté, et vivent quasi uniquement de ces boulots-là, seuls les 10 % restant vivent de leur métier médiatique. Parmi ces 10 %, seulement 2 % sont vraiment connus. » Je pense être dans la catégorie des 8 % qui restent. Cela reste un métier, ni plus ni moins.

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Vous sentez-vous toujours gaijin ou pleinement intégré ?

Je ne me sens pas japonais, mais je me sens bien intégré. Les Japonais sont très polis et aiment flatter les étrangers qui font l’effort de parler japonais. Mais le top, c’est quand ton interlocuteur oublie de féliciter ton japonais pour parler d’égal à égal. Ça c’est la consécration.

“La où le vent me portera”

Si Vincent rentre en France une fois par an pour voir ses parents et quelques amis, il considère désormais que sa vie est au Japon.

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Et demain ? Il aurait envie de se rapprocher de la mer qui est sa « source de relaxation ». Okinawa l’attire. Il y a d’ailleurs déjà entamé une carrière à la télé locale depuis trois ans dans une émission hebdomadaire. Mais Vincent reste ouvert. « J’irai là où le vent, l’inspiration, et la chance me porteront. Comme je l’ai fait jusqu’ici. » / Jacques Tiberi