T’es qui, toi ? – Dans le département de l’Eure, un programme de conservation a été mis en place en 2019 pour assurer la survie des populations de sonneurs à ventre jaune en Normandie, un amphibien menacé dans nos contrées.
C’est une espèce qui se marre bien dans les petites flaques d’eau. La température a tendance à y être plus élevée, et donc c’est plus propice au développement des têtards. Le sonneur à ventre jaune, de 4 à 5 centimètres au stade adulte, se plaît dans les ornières des massifs forestiers, en particulier du côté Est de la France. En se rapprochant du littoral atlantique ou manchois, on tombe sur des populations de l’amphibien plus éparses qui se sont davantage adaptées aux milieux ouverts telles les prairies humides, en lisière forestière par exemple.
Malgré sa carrure modeste, l’amphibien a la capacité de se rendre à plusieurs centaines de mètres pour rejoindre des mares dans lesquelles il passe du temps… pourvu qu’aucun autre batracien n’occupe les lieux. « Le sonneur refuse la compétition et de partager l’espace avec des grenouilles envahissantes, en particulier la grenouille rieuse, plus grande que lui », glisse Mégane Skrzyniarz, chargée de mission amphibiens-reptiles auprès de l’Union régionale de Normandie des centres permanents d’initiatives pour l’environnement (CPIE).
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L’anoure qu’elle suit dans la vallée de l’Iton, côté Eure, a besoin de nombreux sites aquatiques pas trop froids. Mais, les zones humides ces dernières années ont bel et bien disparu au vu de l’urbanisation galopante et des pratiques intensives de l’agriculture. « Les zones de cultures ont grignoté son territoire et beaucoup de coins d’eau stagnante ont été effacés au fil du temps, vu qu’ils avaient mauvaise réputation. » Or c’est une difficulté pour ces individus. « Ils sont prudents et ne vont pas se risquer à traverser les zones agricoles, même pour atteindre un plan d’eau qui pourrait leur convenir. »
Le sonneur a presque disparu dans l’Eure
De manière générale, les activités humaines ont morcelé leur habitat naturel, et les populations, en l’absence de corridors écologiques, ont chuté au fil des décennies. Autant que les individus d’invertébrés, d’insectes, d’araignées ou de mollusques dont le sonneur se nourrit au quotidien après sa métamorphose (pendant sa vie de têtard, il suit plutôt un régime herbivore et court après les phytoplanctons).
Les glandes à venin que l’animal possède poussent les corvidés, les hérons, les reptiles ou les amphibiens à le recracher après l’avoir attrapé, ce qui peut lui assurer une longévité certaine. Au passage, en Franche-Comté, Pépère – de son nom – a fêté ses trente ans en 2023, record mondial en cours. Pour autant, malgré sa « technique » visant à dissuader les prédateurs, rien n’y a fait : le sonneur a quasiment disparu du territoire normand, où Mégane Skrzyniarz agit depuis 2018. « En 2001, il ne restait qu’un reliquat de population qui a été découvert par hasard lors d’une sortie nature dans l’Eure », explique-t-elle. Le sonneur, sur ces terres, n’avait plus été observé depuis les années 70.
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Élevage conservatoire
C’est vrai que la bête mise souvent sur le camouflage et peut passer inaperçu si elle ne montre pas les couleurs de son ventre. « Autrefois, les naturalistes pouvaient l’entendre dans la vallée de l’Iton, précise la chargée de mission. On considère que la population a baissé en cent ans de 96 % sur son aire de répartition historique connue de Normandie. » Résultat : en 2019, il restait moins de cent individus environ. Pour sauver le sonneur et assurer sa survie, il a donc fallu agir.
Terrarium (@ Mégane Skrzyniarz)
En 2018, un élevage conservatoire a ainsi été mis en place dans les locaux de l’Union régionale de Normandie des centres permanents d’initiatives pour l’environnement (CPIE), dans l’Eure. But de l’opération : prélever 20 adultes reproducteurs dans les environs, puis réintroduire dans la nature leurs descendants. Afin d’y parvenir, les équipes, soutenues financièrement par l’Agence de l’Eau Seine Normandie, la région Normandie et la communauté d’agglomération Seine Eure, ont reproduit dans des locaux le milieu naturel des sonneurs (des terrariums et des aquariums) pour que les têtards puissent s’y développer. C’est assez rapide d’ailleurs. « Les premières tâches jaunes apparaissent un mois après leur métamorphose, soit trois-quatre mois après leur naissance environ. »
Des zones humides restaurées
Le projet permet d’élever chaque année 500 têtards. Le taux de survie des juvéniles y est plus important qu’en milieu naturel, moins de 10 % des individus passent le stade adulte en raison de l’assèchement des mares et de la prédation, contre 50 % en élevage. En presque cinq ans, du coup 1 336 sonneurs ont pu être introduits dans l’Eure, au sein de la vallée de l’Iton, zone Natura 2000 depuis 2011.
Trois emplacements ont été sélectionnés puis restaurés au préalable, à Mesnils-sur-Iton, à Amfreville-sur-Iton et à Mesnil-en-Ouche, au CPIE Terres de l’Eure – Pays d’Ouche, le lieu de travail de Mégane Skrzyniarz. En tout, cela représente 35 hectares dans lesquels on trouve notamment des forêts et des prairies alluviales, et donc des zones humides, propices aux amphibiens. Un espace au sein duquel il a été décidé, en compagnie du Conservatoire d’espaces naturels, de la région, du département, ainsi que du lycée agricole de Chambray (situé à Mesnils-sur-Iton), de créer plusieurs petites et grandes mares. Les petites pour les sonneurs, les grandes pour la grenouille rieuse.
Bichette @ Marion Lemahieu
Depuis le début du projet, en 2019, Mégane et les siens continuent de cartographier la vallée de l’Iton, en vue d’estimer si les espaces sont favorables ou défavorables aux petits amphibiens à ventre jaune. « L’ensemble du programme régional, à travers la mise en place d’un nouveau plan régional d’action en faveur des amphibiens et des reptiles en péril, se poursuit jusqu’en 2033, explique-t-elle. Il y a de l’espoir, ça fonctionne. » / Philippe Lesaffre