Des hommes et des femmes se mobilisent pour tâcher de préserver le vivant, et notamment en milieu forestier. C’est le cas de l’association États Sauvages. La structure cherche à acquérir des parcelles de forêts en France pour « les laisser en libre-évolution complète ». Le Zéphyr a échangé avec Julie de Saint Blanquat, cofondatrice de l’ONG, pour comprendre ses motivations.

Le Zéphyr : Pourquoi avoir lancé l’association États sauvages ?

Julie de Saint Blanquat : L’association, lancée en 2019, propose des actions de préservation du vivant. Il était cohérent de ne pas ajouter un impact négatif en se rendant au bout du monde, alors on travaille sur le territoire métropolitain, pour l’heure. Plus précisément, dans un premier temps, on vulgarise, on sensibilise, notamment sur les réseaux sociaux, on relaie pour faire caisse de résonance. On tient également un blog dans le but de toucher un public peut-être plus éloigné de certaines préoccupations. En essayant de ne pas trop cliver. Nous essayons de ne pas être dans une démarche de dénonciation, mais sur une approche de concertation, pour laisser le dialogue s’ouvrir, comprendre les arguments des uns et des autres.

les couvertures du Zéphyr

Et vous proposez aussi des webinars…

Il s’agit dans un premier temps d’apporter de l’information assez « pratique », par exemple en mettant en avant le travail d’un centre de sauvegarde, pour apprendre à donner les premiers soins, et ainsi aider la faune sauvage. Cela permet de savoir ce que l’on peut faire, ou pas. Dans un second temps, on invite des scientifiques. On est de l’avis qu’il faut faire davantage de médiations scientifiques.

Je pense à ce chercheur venu nous parler des limites planétaires, objet de son livre paru en 2020, Aurélien Boutaud. Ou à Eva Gril qui évoque le microclimat forestier. En 2023, on poursuivra sur notre lancée… Par exemple, pour valoriser l’indice de biodiversité potentielle, un outil de diagnostic développé par le Centre national de la propriété forestière (CNPF) et l’Institut national de recherche agronomique (INRAE). Les rencontres en ligne sont ensuite disponibles en accès libre sur notre chaîne YouTube.

« On oublie toute activité anthropique, extractiviste dans ces espaces »

Et vous menez donc des actions de préservation d’espaces naturels…

Tout à fait, et cela s’est traduit par deux acquisitions de parcelles forestières, d’abord, un terrain d’une superficie de 5,6 ha, dans le Cantal, en 2021, puis un autre de 4,3 ha, dans les Vosges, dans la foulée. On en cherche actuellement une troisième, sur tout le territoire. On vise à agir sur le foncier forestier privé.

La forêt est en majorité privée en France. Elle appartient à des particuliers ou à des entreprises, qui, pour certaines, l’exploitent pour la vente de bois. Notre objectif : s’insérer dans la forêt privée, et ainsi créer des… îlots de sénescence. Des espaces de petite surface laissés en libre-évolution complète. C’est un choix de non-gestion, on oublie toute activité anthropique, extractiviste dans ces espaces. Pas d’exploitation forestière, pas de chasse, et, dans la mesure du possible, pas de randonnée, ni de cueillette de champignons. Toutefois, on n’est pas dans une logique de mise sous cloche. On ne met pas de clôture.

Abriter les espèces sauvages des milieux forestiers

C’est un choix de… ne rien faire ?

Les chemins, les sentiers qui peuvent se trouver dans nos forêts vont se refermer naturellement. Petit à petit. Or, comme on laisse la forêt vieillir, on ne veut pas prendre de risque. Nous la laissons en libre-évolution, et n’incitons pas le public à s’y rendre pour préserver des zones de quiétude. Les arbres vont croître, puis mourir. Le bois mort est laissé sur le site, au sol. Or, cela est nécessaire. Le bois mort va être décomposé. Et pourra abriter des espèces animales et fongiques.

Ce qui nourrira le sol et permettra aux végétaux de se régénérer. Ce sont des espaces importants pour le vivant. Pour autant, on s’y rend tout de même pour étudier les parcelles, on met en place des relevés de peuplement et de biodiversité, en particulier.

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On veut préserver toutes les capacités de résilience des forêts pour l’avenir. Car on ne sait pas comment les forêts vont réagir au changement climatique, on sait que certaines espèces souffrent. Certaines vont peut-être s’adapter, d’autres disparaître. On l’ignore, encore… même si on entend beaucoup de choses différentes, à ce sujet.

Si on est dans une logique d’exploitation en vue d’une récolte du bois, il est normal de chercher à sélectionner des essences qui prospéreront. Nous nous plaçons dans une autre logique, celle de la préservation de la biodiversité. Et, à ce moment-là, peu importe que l’arbre vive ou meure, au final. Il n’y aura pas de vide laissé par la nature… En cas de disparition, une autre espèce se positionnera et prendra de la place, peut-être pas forcément celles que l’on souhaitait au départ. C’est pourquoi certains entendent favoriser la migration assistée des espèces pour anticiper les disparitions et assurer la survie de telle ou telle essence.

« Il y a un réel attachement aux arbres »

Comment peut-on acquérir des parcelles ? Une tâche pas si simple, on imagine… Pourtant, cela peut intéresser les propriétaires ?

Il s’agit d’un foncier caché. Souvent, les gens se connaissent, et les discussions se déroulent directement entre les différentes parties. Cela va vite. Donc, il faut être aux aguets. En France, beaucoup sont propriétaires sans même savoir où se trouvent leurs parcelles. Tous ne veulent pas forcément les garder, et cela peut être l’occasion, pour une ONG, de les acquérir. Et pour ces propriétaires, l’assurance que rien ne sera détruit. Car beaucoup de familles veulent qu’on préserve ces terres. Il y a un attachement réel. A un arbre, à un bois. Il y aussi des techniques sylvicoles irrégulières ou à couvert continu qui peuvent lier les deux, la sauvegarde et l’exploitation… douce.

Quels objectifs avez-vous pour les prochains mois ?

On aimerait pour 2023 se rapprocher de la région parisienne pour lancer des opérations de sensibilisation. On travaille en outre sur un projet de signature d’obligations réelles environnementales (ORE), proposée par l’État, depuis 2015, permettant à un particulier de signer un contrat avec une association pour préserver la vocation environnementale d’une parcelle. Avec une ORE de conservation, le terrain garde le même propriétaire, mais on peut s’occuper de sa préservation.

Là, depuis le début du mois de décembre, on participe à la campagne du calendrier de l’Avent d’1 % for the planet. Il s’agit d’un collectif d’entreprises qui reversent 1 % for the planet de leur chiffre d’affaires pour défendre des causes environnementales. États Sauvages fait partie des ONG soutenues dans ce cadre. Notre projet Ma Forêt est vivante ! vise à former les citoyens et les accompagner pour protéger les forêts qui les entourent. / Propos recueillis par Philippe Lesaffre