Pour obtenir « la photo animalière du siècle », certains tentent le tout pour le tout et déposent de la viande en espérant attirer les individus. Une pratique que dénonce l’association FERUS, d’autant qu’elle est de nature à augmenter les risques d’interaction entre les canidés et les humains.

les couvertures du Zéphyr

Elle ne s’y attendait pas. En juin dernier, sur le plateau de Millevaches, en Corrèze, la photographe Bérengère Yar croise des personnes en balade « avec des sacs de viande ». Elle demande quelles sont leurs intentions. « Elles ne se sont pas du tout cachées. Elles m’ont répondu qu’elles souhaitaient appâter des loups via la nourriture. » Et ce n’est pas un coup d’essai : l’avantage du numérique, les promeneurs lui ont montré des images de canidés attirés par la victuaille. « Je leur ai expliqué avant de reprendre mon chemin que cette pratique n’était pas acceptable et contraire à l’éthique naturaliste. »

« La photo du siècle »

Il ne s’agit pas d’un acte isolé. Durant l’été, on lui a signalé des comportements similaires sur le même territoire. « C’est la course aux clichés, regrette l’animatrice du réseau Auvergne Limousin de l’association de défense du vivant FERUS. Beaucoup cherchent la pseudo-photo du siècle et sont prêts à toutes les dérives en vue d’obtenir un cliché spectaculaire. »

Cela ne lui viendrait même pas à l’idée : « Cela m’arrive de rester une semaine quelque part et de rentrer bredouille, sans avoir vu l’animal espéré. Tant pis, cela fait partie des règles du jeu. » Et comme l’a expliqué par exemple le photographe et auteur Julien Arbez (à lire ici), « on ne perd jamais son temps quand on est en forêt ». Quoi qu’il arrive, Bérengère Yar recommande aux néophytes et aux plus pressés d’aller photographier les individus « dans une réserve ou dans un zoo ». C’est même préférable afin d’éviter tout dérangement de la faune sauvage.

Des personnes peu scrupuleuses

Les supercheries du côté des photographes animaliers ont toujours existé. « Seulement, l’arrivée du numérique, puis l’omniprésence des réseaux sociaux ont peut-être accentué le phénomène. » La photographie est devenue une activité plus accessible au grand public. Il est plus facile de se procurer un bon appareil qu’il y a trente ans – ce qui reste « une bonne chose », dit-elle. Pour autant, cela a aussi tendance à attirer « des personnes peu scrupuleuses » qui ne se soucient aucunement des conséquences de leurs actes.

Car voilà le danger : « Si une personne voit que « ça marche », elle aura tendance à réitérer l’exercice, peut-être à en parler à son entourage… Et d’autres voudront s’y mettre, dans la mesure où c’est « facile » d’obtenir un cliché en laissant de la nourriture au sol. » Sans doute des personnes qui ignorent le comportement des animaux sauvages.

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Risque d’interaction

En appâtant des mammifères avec des croquettes ou des morceaux de viande, « on ne se rend pas forcément compte, mais on les habitue à notre présence ». Au point que les loups, plutôt craintifs à l’état sauvage, peuvent « perdre leur méfiance naturelle envers l’humain ». Résultat : cela tend à augmenter les risques d’interaction entre humains et non-humains, avec des conséquences potentiellement dramatiques : « Un loup qui rôde près des habitations risque de se faire abattre… »

Surtout, à un moment où le dialogue visant à améliorer la coexistence entre les loups et les humains est plus que nécessaire, « ce type de comportement de photographe compromet tous nos efforts de préservation et de cohabitation », poursuit Bérengère Yar.

Des louveteaux, et des inquiétudes

Sur le plateau de Millevaches, dans la Creuse, quatre louveteaux ont été aperçus au début de l’été 2025, ce qui est de nature à inquiéter les éleveurs. Au niveau national, 1 013 loups ont été comptabilisés pour l’année 2024, soit un peu moins que l’année précédente. On connaîtra au printemps prochain la taille de la population en 2025. D’ici là, en tout cas, il est toujours possible d’abattre jusqu’à 19 % de la population lupine.

« Or, les tuer ne sert à rien sur le long terme. Car d’autres individus peuvent revenir plus tard », glisse Bérengère Yar. Les canidés circulent plus de 50 kilomètres par jour, que ce soit pour se trouver un territoire ou chasser. Ils consomment avant tout les ongulés sauvages, à l’instar des chevreuils, mais ils peuvent s’en prendre également à des ovins domestiques. Un troupeau constitue pour une meute « un frigidaire ouvert » comme l’a expliqué au Zéphyr Bertrand Sicard, président de l’association FERUS. Un certain nombre d’éleveurs ont subi des attaques. Entre janvier et juin 2025, des loups auraient été responsables de la mort ou de la blessure de 90 bêtes en Corrèze, contre 153 l’année passée.

Aider à surveiller les troupeaux

« J’entends la détresse et la colère des éleveurs ayant subi une ou plusieurs prédations, glisse Bérengère. Mais il y a des solutions plus efficaces que le tir. » Il est possible de trouver des terrains d’entente, FERUS propose aux bergers ainsi qu’aux éleveurs de leur mettre à disposition des bénévoles afin qu’ils surveillent leurs brebis. La présence humaine – sans oublier celle de patous ainsi que la mise en place de clôtures électriques – est utile pour limiter les prédations. « Le programme PastoraLoup fonctionne bien dans le Jura ou dans les Alpes. J’espère que l’on pourra développer cette initiative sur d’autres territoires. » Bérengère Yar tend la main au monde paysan : « Je suis prête à aller visiter les exploitations et discuter… » / Philippe Lesaffre