Quelque chose se passe dans nos contrées, on veut décarboner notre économie, réduire notre empreinte écologique, exercer moins de pressions sur les ressources naturelles, lâcher les technologies peu douces, planter des arbres, protéger les forêts… Et en même temps, on réclame du bois pour se chauffer, construire nos bâtiments, meubler… Le matériau a le vent en poupe, mais la forêt française peut-elle tenir le coup devant notre appétit… féroce ?

Cet article a été initialement publié dans Le Low-Tech Journal, média indépendant ami.

Se chauffer au bois… c’est tendance

La combustion de bois, une énergie propre ? Pas vraiment. Certes une chaudière au bois émet moins de carbone pour consommer un kilowattheure qu’une pompe à chaleur, qu’un radiateur électrique, qu’une chaudière à gaz ou une autre au fioul. Mais l’activité reste polluante, éjecte une quantité folle de particules fines, toutes cancérigènes et responsables de 40 000 décès chaque année, selon Santé publique France.

Pour autant, il s’agit de la première source d’énergie renouvelable thermique en France (65 % de la production de renouvelable). De nombreux foyers se chauffent ainsi : selon le syndicat Énergies renouvelables, 7,2 millions de foyers sont équipés d’un appareil destiné à brûler du bois. Que ce soit des foyers fermés à granulés ou à bûches, des poêles ou des chaudières à bûches ou à granulés. Autant de produits populaires : la vente de ce type d’équipements a augmenté de 63 % entre 2020 et 2022, d’après l’Observatoire des énergies renouvelables (Observ’ER).

Et cela ne devrait pas cesser de sitôt, des ménages pourraient être tentés de migrer à l’avenir vers la biomasse, sachant qu’acheter des bûches est aussi la solution la plus économique (devant l’achat de granulés), par rapport au chauffage au gaz ou à l’électricité. Résultat : depuis quelques années, on commercialise plus de bois dans cette optique. La demande émane tant des particuliers que du côté des 7 000 chaufferies collectives, industrielles et tertiaires hexagonales.

Bois d’œuvre et industrie, on en demande

Le bois, on l’utilise aussi pour la construction de charpentes, la menuiserie, la fabrication de fibres textiles à partir de cellulose, d’emballages. Les professionnels distinguent deux filières. D’une part, le bois d’œuvre (BO pour les intimes) de qualité supérieure, qui provient en France des résineux, en majorité. De l’autre, le bois industrie de qualité moindre, amené à être trituré, transformé en contreplaqués, en isolants, en pâtes à papier ou en palettes. (Crédit photo ci-contre : Ioann Peshkov / Unplash)

En 2021, 39,9 millions de m³ de bois ont été récoltés et commercialisés en France, soit 8,9 % de plus qu’en 2020. La hausse s’explique en grande partie par une demande croissante en bois d’œuvre (+13 % entre 2020 et 2021). Au passage, l’épicéa commun a été cette année-là l’essence la plus prisée. De manière générale, les résineux sont particulièrement demandés pour la construction, en raison d’une croissance rapide. Du côté des feuillus, le nombre de récoltes a augmenté moins vite que celui des conifères, mais ils sont tout de même réclamés. Le bois de peuplier, léger, a été davantage récolté par exemple (+10 % sur un an, en 2021) car on a voulu davantage d’emballages au lendemain des confinements.

Situation de la forêt française

31 % du territoire en métropole est couvert par des forêts. Ce qui représente 17,3 millions d’hectares. Les forêts sont à 75 % privés, le reste appartenant à l’État, ainsi qu’aux communes. On compte 3,3 millions de propriétaires de bois privés, parmi eux, 2,2 millions disposent de moins d’un hectare.

7 arbres sur 10 sont des feuillus, en premier lieu des chênes et des hêtres. L’Institut national de l’information géographique et forestière (IGN), un établissement public, estime que la forêt métropolitaine compte environ 11,5 milliards d’arbres. Et que le volume de tous les arbres vivants s’élève à 2,8 milliards de m3.

Sur la période 2013-2021, comme l’indique l’IGN, la production « nette » (1) d’arbres dans les massifs forestiers en métropole est de 74,7 millions de m3 chaque année. Ce qui a été prélevé annuellement pour les filières du bois correspond environ à la moitié de l’accroissement naturel de la forêt française.

  1. C’est-à-dire qui prend en compte la mortalité des arbres, selon l’IGN

Précisons que 33 % de la surface forestière demeure difficilement exploitable, selon l’IGN. Si trois quarts des forêts se trouvent en plaine, le reste a investi des territoires de montagnes sur des zones de peuplements peu accessibles, rendant le débardage délicat (il manque des pistes pour acheminer le bois).

Même si le stock d’arbres vivants a progressé de 50 % en trente ans, il faut prendre en considération la mortalité des arbres qui a augmenté de 80 % en raison des épisodes des tempêtes, mais surtout des épisodes de sécheresse, du stress hydrique et des attaques d’insectes… Les peuplements dépérissent, et le stock disponible pour le bois d’œuvre devrait se réduire pour chaque essence dans les prochaines décennies, d’après l’IGN.

Une exploitation… pour quels usages ?

68 millions de m3 de bois ont été récoltés en 2020 en métropole. En retirant les pertes d’exploitation (15 millions de m3), le volume du prélèvement du bois s’est élevé à 53 millions de m3. Sur ce volume, 15 millions de m3 ont été « récupérés » par les particuliers pour un usage domestique afin de se chauffer via la combustion de bois.

Le reste, 38 millions de m3, a été commercialisé. Dans le détail, 20 millions de m3 ont été utilisés pour la filière du bois d’œuvre (en vue d’une transformation en charpentes, en meubles, en parquets, etc.), 10 millions de m3 pour la filière industrie (panneaux, poteaux, usines à papiers) et 8 millions pour la filière bois énergie de façon directe.

Sur le dernier chiffre, il convient de prendre également en compte les chutes des scieries et les déchets de bois en fin de vie recyclé. Résultat : c’est plutôt 30 millions de m3 issus de la forêt qui a fini en 2021 en bois énergie, à la fin. En grande partie, donc, afin de générer de la chaleur chez les particuliers (22 millions de m3), mais aussi dans les chaufferies tertiaires, collectives, industrielles.

La forêt est-elle vraiment « sous-exploitée » ?

Certains acteurs rappellent qu’il y a de la marge. Le Comité interprofessionnel du bois-énergie, La Fédération des services énergie environnement, le Syndicat des énergies renouvelables et Uniclima (syndicat représentant les industries thermiques, aérauliques et frigorifiques), gourmands, estiment que « le potentiel forestier est sous-exploité ». Dans le Panorama de la chaleur renouvelable et de récupération paru en 2020, ils écrivent qu’au vu du « capital » forestier, « 19,8 millions de m3 de bois supplémentaires pourraient être mobilisés annuellement d’ici 2035, tout en assurant la durabilité de la forêt française ». Même topo du côté de Fransylva, la fédération des syndicats de forestiers privés et du Centre national de la propriété forestière, selon lesquelles « la ressource feuillue, la plus abondante en surface, est largement sous-employée », aimerait qu’on puisse « la valoriser au mieux » en développant de « nouveaux débouchés », lit-on dans leur brochure des Chiffres clés de la forêts privés française.

On découvre via l’IGN que, par exemple, « 1,1 % du stock de BO national (est) prélevé chaque année pour les chênes nobles ». Mais, corrige Nathalie Naulet, coordinatrice du fonds de dotation Forêts en vie, appartenant au Réseau des alternatives forestières, « ce type de chiffres ne rend pas compte de la réalité du terrain, à savoir que, sur les massifs, on prélève beaucoup trop là où l’on exploite, ce qui empêche la forêt de se régénérer… »

Les coupes rases se multiplient, les associations de protection de l’environnement à l’instar de Canopée, sonnent l’alerte. Certaines pratiques industrielles agacent. En particulier celle consistant à remplacer des feuillus par une armée de douglas. Élise Ladeveze, du groupement forestier écologique et citoyen La forêt hospitalière en Saône-et-Loire, s’emporte : « Les arbres, dans les zones de monocultures, ont tendance à être plus fragiles et subissent des attaques de parasites. Du coup, ils dépérissent plus facilement dans ces conditions. » Résultat : le bois destiné au départ à la construction peut finir en granulés pour chauffage. « Par ailleurs, pour des raisons de coût, si un grumier n’est pas plein, ajoute Nathalie Naulet, la voie la plus économique sera privilégiée, soit une usine qui va broyer le bois pour en faire des granulés, au détriment d’une scierie de proximité – d’ailleurs, il y en a de moins en moins sur le territoire. »

Prélever davantage… oui, mais sous conditions

Néanmoins, on peut sans doute récolter davantage en se tournant vers les propriétaires de forêts privées, qui n’ont pas tous mis en place un plan de gestion. Souvent du fait de la taille très petite de leur terrain, souligne la coordinatrice de Forêts en vie. Sa structure cherche justement à acquérir des parcelles pour proposer « des gestions plus douces », prouvant par la même occasion qu’« on peut exploiter en protégeant l’écosystème ».

Il est certain que la forêt française ne pourrait pas fournir du bois de chauffage à tous les Français si d’aventure ils désiraient se chauffer ainsi. Raser l’ensemble de la superficie forestière ne suffirait pas. Plan machiavélique : détruire un important puits de carbone serait stupide, il faut laisser les forêts vieillir dans le but d’absorber plus de carbone. Pour autant, prélever davantage peut avoir du sens, détaille Nathalie, si cela offre l’opportunité de « redévelopper en circuit court des filières locales, du bûcheronnage via le débardage jusqu’aux menuisiers, charpentiers, ébénistes ». Une piste à ne pas négliger : « Les artisans locaux ont du mal à trouver du bois de qualité et ils savent travailler le bois pas forcément standardisé, courbé », renchérit Élise.

Une évolution qui aurait pour conséquence de favoriser la transparence : en circuit court, il est plus facile pour un artisan de savoir d’où vient le bois qu’il a eu entre ses mains. Mais force est de reconnaître qu’il n’est pas facile de recueillir les informations de traçabilité. « C’est actuellement quasiment mission impossible pour un petite entreprise de savoir si le matériau est issu de coupes à blanc », admet Nathalie.

Affouages & sobriété

Pour les personnes qui ne possèdent pas de parcelles, elles peuvent se tourner vers leurs communes, si celles-ci sont propriétaires de forêts. Dans ce cas, elles ont la possibilité d’accorder à leurs habitants le droit de prélever du bois en vue de chauffer leur intérieur. Dans ce cas, à eux d’allumer la tronçonneuse. C’est ce qu’on appelle l’affouage, pratiquée encore du côté nord-est de la France . Elle est interdite dans les forêts domaniales. Selon l’ONF, un million de mètres cubes environ est mis à disposition des collectivités pour l’affouage.

Mais, avant toute chose, le questionnement reste de mise. Ne peut-on pas chercher à répondre aux besoins des uns et des autres différemment ? Pour garder la forêt vivante, n’est-il pas temps de la laisser tranquille ? En clair, n’est-il pas possible avant toute chose d’isoler nos intérieurs avant de se procurer un poêle ou de construire une cheminée en vue de brûler du bois ? Privilégier ce qui existe déjà, en somme acheter, pourquoi pas, un meuble en ressourcerie plutôt qu’en commander un nouveau ? Ou utiliser, pour un fabricant, du bois… qui dort.

Typiquement, Bruno Thomas (Bête à bois), créateur de jeux en bois dans le Jura… travaille ce qui a séché, comme il dit, « dans les granges des particuliers pendant 40 ans »… Dans l’Allier, l’association Viltaïs récupère des meubles en bois dans les déchetteries (ou qu’on lui donne) pour les retaper et leur donner une seconde vie. La sobriété, la vraie. / Philippe Lesaffre