Jérôme Monceaux est un Gepetto post-moderne : il fabrique des robots puis s’évertue à y déposer ce petit supplément d’âme qui leur manque encore si cruellement.

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Avec Spoon, il pense avoir atteint son objectif : créer une machine interactive qui vous donne la sensation qu’elle peut sentir votre présence.

Une année, à Noël, les parents de Jérôme lui ont offert un robot articulé. Avec son frère, ils imaginaient sortir un nouveau copain de la boîte en carton. Mais tous deux ont été un peu déçus, car le robot se contentait d’avancer et de cracher de la fumée. « Il ne communiquait pas avec nous. » Depuis ce soir-là, il n’a jamais cessé de croire que l’on pouvait insuffler la vie dans les yeux d’un robot. « J’ai commencé à travailler avec mon père – qui était un excellent mécano – pour créer des systèmes électroniques qui rendaient mes robots Lego vraiment interactifs. Mais, à l’époque, j’avais sous-estimé la difficulté de la chose. »

En réalité, l’ingénieur n’a atteint son objectif qu’en 2006, avec les robots Nao et Pepper. « On leur a donné la possibilité de détecter les visages et les voix, de tourner sa tête et de marcher. » Aujourd’hui, on les retrouve au guichet de certaines entreprises et de services publics ou auprès de personnes handicapées. Nao fait aussi la joie des jeunes visiteurs de la Cité des Sciences, à Paris. « Mais je n’ai toujours pas pleinement réussi à mettre dans cette machine la petite étincelle de vie qui change tout. Il manque encore un petit quelque chose pour faire en sorte que le robot soit vraiment parmi nous. »

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Robot social

Au fur et à mesure que son travail avançait, Jérôme Monceaux s’est rendu à l’évidence : « On cherchait à mettre dans les machines quelque chose dans le robot qui n’a rien à y faire : une âme. » Au final, la solution ne vient pas de la technologie, mais de nous. « Le challenge n’est pas de donner la vie aux robots, mais de permettre aux robots de refléter la vie de leurs utilisateurs. J’ai compris cela un jour, par hasard : j’ai ouvert la porte d’une pièce où j’avais laissé onze robots humanoïdes Nao allumés. Et ils se sont tous tournés vers moi comme un seul homme, au son de la porte qui se fermait. À cet instant, j’ai eu, pour la première fois de ma vie, le sentiment d’exister auprès de ces machines. » Depuis, son obsession est de retrouver cette sensation, en construisant un « robot social ».

C’est ce qu’il a voulu atteindre avec son nouveau projet, les créatures Spoon. « Ce sont des robots capables de refléter la présence d’une personne. Plus précisément : la personne peut sentir le robot exister à travers elle. Pour réaliser cela, on a beaucoup travaillé sur le langage corporel et les micro-interactions. Au final, vous vous sentez important pour la machine, notamment à travers sa communication non verbale. Il y a un effet psychologique qui lui donne l’impression d’exister aux yeux du robot. »

Spoon est l’achèvement d’un immense travail de déconstruction et de reconstruction de tout ce que nous croyons savoir sur les robots. « Par exemple, la majorité des gens qui créent des robots oublient systématiquement de leur donner une tête et un visage. Il n’y a pas de tête sur les robots industriels, ni même sur la mule de Boston Dynamics. Or, cela prive les machines de l’organe essentiel de l’émotion : le visage permet de comprendre ce que je ressens. Les psys appellent ça la “théorie de l’esprit”. Sans visage, on n’est incapable de savoir ce que Siri pense. On est comme devant l’œil de Hal 9 000 dans 2001 – L’Odysée de l’Espace. On se demande ce qui se cache derrière. »

Ainsi, au lieu de chercher inexorablement à donner la vie à des machines, Jérôme a choisi de leur donner un visage. Et ce visage les rend plus humains. « C’est simple : quand on installe des caméras chez une personne âgée pour alerter les secours en cas de chute, la plupart du temps, elle refuse de voir son intimité épiée. Or, dès qu’on place la caméra dans un robot Nao, les personnes âgées acceptent la présence. Elles oublient la caméra et se focalisent sur le corps du robot qui les rassure. » Après avoir donné un visage expressif aux robots, il reste à leur attribuer une voix humaine. « Il faut abandonner les voix neutres qu’on trouve chez Siri, par exemple, pour obtenir des “modulations prosodiques”. » C’est-à-dire des voix naturelles comme celle de Scarlett Johansson dans le film HER.

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La mule sans tête de Boston Dynamics

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Robots collectifs

Il n’y aura rien de naturel dans le fait de parler à une machine… tant qu’il n’y aura pas de partage empathique avec le robot, à travers la voix. Une fois que l’on sera capable de coordonner une intelligence artificielle avec un corps, un visage et une voix, nous atteindrons une singularité. Et les robots pourront enfin entrer dans nos vies, sans que cela ne nous effraie. Pour autant, Jérôme Monceaux ne nous imagine pas accueillir des robots humanoïdes dans nos salons, comme dans le film I, Robot. Il s’intéresse davantage aux robots collectifs polymorphes.

« Faire un robot humanoïde n’est pas une bonne idée, conclut-il après de nombreuses années à tenter d’en créer. Il est inutile que les robots soient à notre image. C’est même contre-productif. Car, en face d’un robot humanoïde, on va croire qu’il voit le monde comme un humain. Et on sera forcément déçu. Par exemple, un robot ne peut pas avoir d’humour : il ne peut avoir qu’une seule idée à la fois, et ne peut donc saisir l’ironie. »

Jacques Tiberi