Le Zéphyr donne régulièrement la parole à de jeunes auteurs. Voici Jonathan D., un ancien membre d’une ONG européenne en poste en Afrique. Il prend la plume pour conter son incroyable expérience en République démocratique du Congo. Partie Bonus : retour sur l’histoire récente du pays et bref portrait de la RDC.

les couvertures du Zéphyr

Épisode historique

 

Ancienne colonie belge, et avant cela propriété privée du Roi de Belgique Léopold II, la RDC prend son indépendance le 30 juin 1960, une date qui marque le début d’une période particulièrement chaotique. Tout d’abord, elle intervient beaucoup plus tôt que ce que la Belgique avait planifié – eh oui, j’ai moi-même été étonné d’apprendre qu’il avait existé des plans de transition…

Découvrez les autres épisodes de ce feuilleton congolais de Jonathan D.

Longtemps critiquée pour la brutalité qui régna sous sa colonisation, la Belgique espérait avoir le temps de former une élite congolaise afin de lui transmettre les rênes du pouvoir dans les meilleures conditions possibles. Manque de chance, les premières promotions n’étaient pas encore sorties des bancs de leurs écoles en 1960, et la RDC dû se passer de leurs précieuses compétences en devenir. La période de cinq ans qui s’ouvre alors est marquée par une profonde instabilité.

Il importe de se rappeler que cette période se situe en pleine Guerre froide et que les positions des différents protagonistes à l’origine de l’indépendance de la RDC étaient donc scrutées de très près par les deux blocs. A la vue de l’importance géostratégique du pays, il était essentiel de s’assurer qu’il se rallierait au bon côté. Deux personnages en compétition pour le pouvoir, Joseph Kasa-Vubu, qui devient président à l’indépendance, et Patrice Lumumba (voir photo en couverture), qui devient son Premier ministre, symbolisent à eux seuls toute cette tension. Issus de partis politiques opposés, leur compétition est à l’origine de l’accélération du processus d’indépendance, l’un et l’autre promettant toujours plus à la population jusqu’à l’ultime promesse de l’indépendance. Ce qui prend ainsi de cours les plans de l’ex-colonisateur belge. Des élections législatives aux résultats serrés expliquent ce partage du pouvoir.

Inaction des Casques Bleus

La première crise à gérer pour la jeune République du Congo ne tarde pas à se montrer. Dès le mois de juillet, un troisième leader politique important de l’époque, Moïse Tshombé, organise la sécession de la province minière du Katanga avec le soutien des milieux d’affaire occidentaux. Il est important de souligner ici la dimension ethnique des oppositions entre les différents protagonistes, qui sont tous issus de provinces différentes. Kasa-Vubu est un Bakongo, Lumumba est du Kasaï et Tschombé, un Katangais. Bref, Lumumba, tenté par une intervention militaire soviétique accepte finalement une intervention onusienne. Mais, devant l’inaction des Casques Bleus, il perd patience et contacte finalement l’Union Soviétique au mois de septembre 1960.

Quelques jours plus tard, il est renversé par l’armée, qui ne se sent pas représentée au gouvernement, elle-même majoritairement constituée de Balubas et Bangalas. A leur tête se trouve le Général Mobutu Sese Seko, soutenu par les Américains et qui va désormais organiser la consolidation de la jeune République, toujours sous la présidence de Kasa-Vubu. En janvier 1961, il fait assassiner Lumumba et, avec l’aide de l’ONU, qui est désormais prête à s’impliquer, il met fin à la sécession katangaise en 1963.

 

Nationaliser les investissements

Je ne vais pas rentrer dans tous les détails, mais deux années plus tard, Mobutu finit par renverser Kasa-Vubu et prend le pouvoir, qu’il gardera jusqu’en 1997. Les exactions qui seront perpétrées tout au long de son règne ne trouveront que peu d’écho parmi les nations occidentales, en tête desquelles les États-Unis, qui voient en lui un rempart au communisme. Ainsi, sous le règne de Mobutu, la République du Congo est devenue République démocratique du Congo, puis Zaïre.

Le pays est entré dans un processus de « zaïrianisation », où le costume occidental a été remplacé par une invention locale, l’abacost, une sorte de costume à col Mao et manches courtes. Je ne mentionne pas ici toutes les anecdotes que Reybrouck livre et qui souligne toute l’absurdité de cette époque et rend plus dramatique encore l’horreur dans laquelle le Congo va inexorablement sombrer. Une décision fondatrice dans ce sens, fut la décision de nationaliser les investissements étrangers entre 1971 et 1974 qui provoqua le début d’une crise économique dont le pays ne se relèvera jamais.

Le « Versailles de la jungle »

Par ailleurs, Mobutu accroît progressivement la personnalisation de son pouvoir, qui va reposer sur un savant mélange de renseignements – il est devenu littéralement paranoïaque avec le temps et fait espionner tous ses opposants potentiels – et de cadeaux afin d’acheter ou d’amadouer (sous forme matérielle ou sous forme de positions politiques) ses opposants et potentiels opposants. La folie des grandeurs, dont fait preuve Mobutu, aussi appelé le Léopard de Kinshasa, s’exprime de multiples manières. A Kin, diminutif de Kinshasa, il a fait organiser le match de boxe du siècle, The Rumble in the Jungle, qui oppose Mohamed Ali à Georges Foreman (on parle encore aujourd’hui de ce combat).

Pendant les années fastes, il s’est fait construire un palais gigantesque en pleine forêt équatoriale à Gbadolite, où il a fait organiser des réceptions somptuaires, où le champagne coulait à flots. J’ai encore du mal à m’imaginer la folie d’un tel lieu, appelé le « Versailles de la Jungle » alors qu’il n’y avait que quelques cases en 1967. En pleine forêt équatoriale, faire amener les matériaux nécessaires à la construction d’un palais présidentiel, d’un aéroport, et par la suite les vivres et autres produits nécessaires à son fonctionnement. Cela a dû impliquer une logistique incroyable !

 

Corruption et débrouille

Toutes les « bonnes choses » ayant une fin, entre 1983 et 1986, le pays exsangue est obligé de faire appel à la Banque Mondiale qui impose ses programmes d’ajustement structurels. Avec la fin de la Guerre froide, Mobutu ne fait plus rire grand monde. L’inflation gigantesque plonge les habitants dans une misère quotidienne, et divers mécanismes de survie se mettent en place. Les policiers commencent à rançonner les administrés, les enseignants à faire payer leurs élèves, et les pilotes de l’armée vendent leurs appareils en pièces détachées pour augmenter leurs revenus, à tel point que le Zaïre devient réputé pour son marché de pièce détachées à l’international… Ne manquant pas d’humour, pour se référer à la corruption et la débrouille, les Congolais se réfèrent à l’article 15, article fictif de la Constitution congolaise, qui disposerait que chacun doit se débrouiller. Somme toute, la version congolaise de notre système D.

 

« La mort d’un million d’hommes est une statistique »

Les Congolais qui croyaient de manière quasi-mystique dans l’avènement d’une nouvelle ère avec l’indépendance se sentent floués. Le pays loin d’avoir progressé depuis la fin de la colonisation s’est inexorablement délité. La plupart des infrastructures hérités du colonisateur belge sont détruites ou inutilisables, notamment les routes, et les années Mobutu, porteuses d’espoir à leur début, sont finalement vues comme un grand gâchis. Sans l’épouvantail soviétique, Mobutu ne jouit plus du soutien inconditionnel de ses alliés occidentaux et la communauté internationale le force à mettre en place un processus de démocratisation qui va s’étendre de 1990 à 1996.

En 1994, l’hyperinflation, qui atteint 1000 %, et le génocide au Rwanda, vont définitivement mener Mobutu vers la sortie. En trois mois à peine, plus de 800 000 tutsis et hutus modérés (certains évoquent même plus d’un million) sont systématiquement assassinés par le pouvoir en place et les interhamwes, milices pro-gouvernementale anti-tutsi. Je trouve souvent que de tels nombres empêchent de réaliser l’ampleur de ce qu’ils décrivent. Comme disait Staline, « [l]a mort d’un homme est une tragédie. La mort d’un million d’hommes est une statistique », et c’est probablement encore plus vrai lorsqu’il s’agit de personnes aussi éloignées de nous, à la fois géographiquement et temporellement. Alors pour donner une idée plus précise, c’est comme si chaque jour pendant 90 jours, des membres de votre communauté s’étaient mis en tête de supprimer 8 888 personnes parmi vos proches, vos voisins, simplement parce qu’ils appartiennent à un autre groupe ethnique. Ça fait froid dans le dos !

Joseph Kasa-Vubu, premier président de la République du Congo-Léopoldville

Joseph Kasa-Vubu, premier président de la République du Congo-Léopoldville

« Le Che »

Ce qui est moins connu en revanche, c’est que le carnage ne s’est pas arrêté là. La contre-offensive du Front patriotique pour le Rwanda de Kagame va provoquer de multiples massacres (on parle de plusieurs centaines de milliers de morts), jusque dans le Congo voisin, où les forces pro-gouvernementales rwandaises (les ex-génocidaires) seront pourchassées. Pendant ces trois années de chaos, le Rwanda va soutenir le groupe armé de Laurent Désiré Kabila, longtemps resté dans la brousse et un temps même soutenu par Che Guevara. Vous vous imaginez Che Guevara dans la jungle congolaise ? C’est complètement improbable ! Le but du Rwanda était clair, traquer les génocidaires et finalement renverser Mobutu à Kinshasa.

En 1997, Mobutu est finalement exilé du pays et c’est ainsi que se referme la page zaïroise du Congo. La République démocratique du Congo, qui n’a de démocratique que le nom, est ressuscité, et, à sa tête, se trouve désormais Laurent Désiré Kabila. En renvoyant les officiers militaires rwandais et ougandais qui avaient participé à sa conquête du pouvoir, et dont il craignait un coup d’État, il avait fait montre de peu de reconnaissance. En conséquence de quoi, ses voisins de l’Est démarrèrent des guerres par procuration en fondant des mouvements rebelles basés à l’Est et au Nord-Est du pays.

Démarre alors ce qui est communément appelé la Seconde guerre du Congo. Ne pouvant compter sur les vestiges de l’armée congolaise, qui n’était déjà plus que l’ombre d’elle-même à la fin de l’ère Mobutu, Kabila fait appel au soutien de ses grands voisins du Sud, l’Angola, la Namibie et le Zimbabwe. Ces derniers craignent un découpage de la RDC par le Rwanda et l’Ouganda, et, dans une parfaite logique de realpolitik prêtent main forte à l’ex-guérilléro, désormais à la tête du deuxième plus grand pays d’Afrique. Grâce au soulèvement de la population (c’est la naissance des milices d’auto-défense Maï-maï), appelé de ses vœux, et du soutien de ses nouveaux alliés, Kabila réussit à stabiliser la situation et à sauvegarder Kinshasa d’une chute quasi-certaine.

Le « S » de MONUSCO

En 1999, devant l’enlisement de la guerre et ses conséquences délétères sur la population, la communauté internationale se décide à intervenir en envoyant une force de surveillance et de maintien de la paix, la Mission de l’organisation des Nations unis pour le Congo (MONUC). Sensée être provisoire, cette force est devenue partie intégrante du paysage congolais jusqu’à aujourd’hui, à l’exception d’un changement de nom notable puisqu’elle s’appelle désormais MONUSCO, comme si son échec à stabiliser le Congo nécessitait qu’on insiste sur cette dimension, le « S » de MONUSCO signifiant stabilisation…

A la mort de Kabila, assassiné en 2001 par l’un de ses gardes du corps, un « Kadogo » ou enfant soldat, qui pouvait-on nommer à la tête de la RDC, si ce n’est son fils ? L’ironie de ma question correspond à l’étrangeté du choix fait par le gouvernement et soutenu par la communauté internationale de nommer Joseph Kabila, fils de Laurent-Désiré Kabila, à la tête du gouvernement de transition pour la RDC. Il faut attendre 2002 pour que le dialogue Intercongolais, initiative de paix lancée par Kabila, trouve une conclusion favorable avec un accord de paix signé à Prétoria en Afrique du Sud. Il lui en aura tout de même coûté de partager le pouvoir avec d’anciens rebelles.

En 2003, Joseph Kabila démarre une transition démocratique et une nouvelle constitution est adoptée en 2005. En 2006, il est élu démocratiquement à la tête du pays. En parallèle de ces « avancées », s’ouvre une décennie de gestion de crise plus ou moins ouverte avec les voisins rwandais et ougandais, qui grâce à des guerres par procuration vont piller les richesses de la RDC, notamment l’or, les diamants, le cuivre, le zinc et le coltan. Ces conflits se déroulent surtout à l’Est du Congo dans l’ex-province orientale, en Ituri et dans les deux Kivus.

Intolérable barbarie

On pourrait parler ici de l’épopée du M23 de Laurent Nkunda, ou de la gestion chaotique de l’État par Kabila et ses nombreux gouvernements successifs. Mais l’idée était ici de livrer les grandes dynamiques qui étaient et sont toujours à l’œuvre en RDC, afin de mieux comprendre la situation actuelle. Et, à la vue de ce condensé, j’ai déjà bien peur d’avoir étouffé les lecteurs mêmes les plus courageux. Évidemment, il y a bien plus de chose à dire, et j’invite les plus motivés d’entre vous à se lancer dans la lecture de Congo : Une histoire, de David van Reybrouck, que je ne peux que recommander tant il est à mon sens accessible et éloigné de l’aridité d’une approche académique.

Si rentrer dans le détail des deux dernières décennies n’est peut-être pas nécessaire, je pense qu’il est important de livrer un état des lieux de la situation du pays aujourd’hui. Tout d’abord, le pays est rempli de groupes armés en tout genre. Les nombreux groupes Maï-Maï, petites milices crées à l’origine pour combattre l’envahisseur rwandais, les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), à l’origine constitués d’anciens génocidaires hutus rwandais, des vestiges du M23, l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo, les Forces démocratiques alliées (ADF), etc. On estime qu’environ 70 groupes armés sont actifs dans l’Est de la RDC.

Il importe de préciser que si la plupart de ces groupes avaient une raison idéologique ou politique d’exister à leur origine, ils ne poursuivent aujourd’hui plus qu’un agenda économique, dont les activités les plus lucratives comprennent pillages, braquages, vols, kidnapping, etc. Leurs exactions s’accompagnent de meurtres et de viols quasi-systématiques. A tel point que l’Est de la RDC est devenu mondialement connu pour l’intolérable barbarie de ses groupes armés. Une simple recherche sur le travail extraordinaire du docteur Denis Mukwege suffit à s’en faire une idée.

Accusées d’exactions

Bien évidemment, si cette situation perdure ainsi, c’est aussi en raison de l’absence totale d’État. Ses leaders ne se préoccupent que d’eux-mêmes et les affaires courantes sont gérées en fonction d’intérêts personnels comme peuvent le prouver des révélations récentes sur la famille Kabila. Ainsi, les forces armées de la RDC (FARDC) n’ont jamais été en capacité de répondre à la menace des différents groupes armés. Celles-ci sont d’ailleurs elles-mêmes régulièrement accusées d’exactions en tout genre. Le gouvernement, jaloux de son pouvoir et craignant des coups d’État, fait d’ailleurs tout pour maintenir les FARDC dans leur incurie actuelle.

La persistance de l’instabilité à l’Est de la RDC provoque des mouvements de population permanents, alors même que ces populations sont déjà parmi les plus vulnérables au monde avec un revenu quotidien souvent inférieur à 3 dollars par jour. Ces mouvements entraînent misère et malnutrition. La dimension ethnique, que je n’ai qu’effleurée, est également essentielle en RDC. Ces dernières se font aussi régulièrement la guerre entraînant encore plus de massacres et de pauvreté dans le pays. Cela fait bien longtemps que la population n’attend plus rien de ses politiques, qui n’occupent le pouvoir que pour s’enrichir personnellement.

Histoire tourmentée

Kabila, qui aurait dû le quitter après un second et dernier mandat en décembre 2016 a trouvé le moyen de rester au pouvoir en plaidant une interprétation fallacieuse de la constitution. Les entreprises privées, au premier rang desquelles les mines, continuent leur exploitation du pays sans que les dividendes, qu’elles reversent à l’État, ne servent à améliorer la vie des Congolais…

Plus récemment encore, les massacres perpétrés au Kasaï, région du Sud-Ouest de la RDC, sont une nouvelle cause d’inquiétude dans le pays. Pour plus d’infos sur ce sujet, un web-documentaire de RFI est disponible en ligne. Et je le recommande ! Voilà une très brève introduction au Congo, qui je l’espère donnera envie au lecteur d’en savoir un peu plus sur ce pays à l’histoire tourmentée, mais également à la culture riche ! / Jonathan D.

Découvrez les autres épisodes de ce feuilleton congolais de Jonathan D.