Évelyne, fine cuisinière, a obtenu sa carte de séjour après une bataille de plusieurs mois. La Camerounaise de 45 ans, nous livre le récit de son installation en France.

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Évelyne*, debout, attend le bus. En cette soirée printanière, Elle observe la circulation parisienne, pour passer le temps et laisser filer les secondes. Elle jette un œil à sa montre. Plus que huit minutes d’attente, me dit-elle. « On verra s’il est à l’heure », glissé-je, en souriant, faisant ainsi écho à notre conversation qui vient de se finir. Évelyne, Camerounaise de 45 ans, rit de bon cœur. Quelques minutes auparavant, elle m’avait appris qu’elle détestait cette expression. « On verra » rime, selon elle, avec incertitude et doute. C’est qu’elle a souvent entendu cette phrase dans sa vie au moment où l' »étrangère » attendait d’être régularisée, lui permettant de séjourner sur le territoire et de travailler. Et à chaque fois, cela avait une consonance négative.

« On verra »

En particulier, dans la bouche de son premier employeur, en France. Ce dernier est à l’origine de son exil, survenu il y a près de quinze ans. Le deal de l’époque ? Elle quitte son pays natal, laissant derrière elle, à trente ans, ses enfants, et elle devient gardienne de propriété dans le Sud de la France, pour s’occuper tant du ménage que de la cuisine de la famille. Et, en retour, son employeur s’engage à la nourrir, la loger et à l’aider à constituer un dossier en vue d’une régularisation.

Elle déménage, pleine d’espoir. Mais rien ne se déroulera comme convenu. Son employeur ne respectera jamais le contrat : « À chaque fois que je demandais où cela en était, on me répondait: « On verra », se souvient-elle, aujourd’hui, les yeux embués de peine. Alors, j’ai attendu, attendu plusieurs années, en continuant mon travail. » Jusqu’au jour où elle finit par se rendre compte qu’elle est victime d’« esclavage moderne ». Un terme qui la choque, encore actuellement.

Elle décide d’y mettre fin. Un beau matin, elle boucle sa valise et fuit, sans rien dire. Direction :  la gare la plus proche pour rejoindre, en train, la capitale. Et, pour le reste, on verra bien ? En tout cas, la famille qui l’a employé croit à une fugue, m’explique-t-elle. Son employeur a dû prévenir la police. « On lui a dit qu’Evelyne faisait ce qu’elle veut. Elle est majeure… » En effet, Évelyne, libre, a tout à fait le droit de fuir… pour trouver un vrai travail. « Si on m’avait payée, je n’aurais pas bougé » , ajoute cette femme blessée.

 

« J’ai été nourrie, logée, blanchie »

A-t-elle souhaité se venger ? Elle fait non de la tête. En effet, elle n’a pas entamé de démarche judiciaire, comme elle en avait le droit. Pas le courage, pas l’énergie nécessaire, pas sa priorité. Non, elle a préféré reconstruire sa vie. Elle a commencé par frapper à la porte d’amis parisiens, rencontrés quelques années plus tôt « dans un parc ». Évelyne me raconte leur grande surprise quand elle leur a appris qu’elle n’avait pas été rétribuée pour sa mission par l’ex-employeur. Cléments, ses amis lui ont alors offert le gîte. « J’ai été nourrie, logée, blanchie », me raconte-t-elle aujourd’hui, consciente de cette chance, qui lui a évité ainsi de dormir dans la rue ou dans des foyers.

Après son arrivée à Paris, elle ne savait pas encore qu’un parcours du combattant contre la machine administrative française l’attendait. Des mois et des mois d’attente où on lui a soufflé encore à de nombreuses reprises : « On verra bien. » Une épreuve qui endurcit et forge un caractère. Je sens Évelyne forte et courageuse. En 2016, elle a finit par bénéficier d’une carte de séjour de 10 ans, valable pour quatre ans. Et malgré les douleurs qu’elle ressent encore, elle lâche, sans souci. Et toujours avec le sourire : « La France a été accueillante pour moi, mais tout est très long, très pénible, car il faut tout prouver, notamment qu’on a bien travaillé… »

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Une bougie pour la prière

Elle est parvenue, elle, à trouver une occupation professionnelle assez rapidement grâce à des connaissances. Deux fois par semaine, elle a rendu visite à une dame, en fin de vie. Elle l’a aidée à manger, à se changer, à se laver, à se coucher. Elle n’a en revanche pas tout confiée à sa protégée, me rapporte-elle. « Parfois, je couchais cette dame, la saluait et, au lieu de partir, j’allongeais mes vêtements dans la salle de bain et me couchais. Le lendemain, je réveillais madame, qui ne s’était rendue compte de rien. »

Pourquoi passer la nuit à cet endroit si elle a un toit à disposition ? « Vous savez, j’avais envie de me débrouiller et de ne pas toujours compter sur mes amis… » C’est sa conscience, poursuit-elle, qui l’indique de ne pas « toujours les déranger ». Comme quand, hélas, elle a découvert que sa patiente s’est éteinte dans son lit. Le temps d’attendre le médecin, et il se faisait tard. « À 21h, je n’ai pas osé rentrer chez mes amis  ; quand on vous loge, il vaut mieux arriver plus tôt… » Alors, elle s’est allumée une bougie pour la prière, puis s’est assoupie dans la salle de bain.

Évelyne continuera d’exercer en tant qu’auxiliaire de vie ; elle accompagne toujours jeunes et moins jeunes, malades et handicapés, dans le besoin. « Comme je n’ai pu aider mes parents, j’essaye de le faire pour les autres », se justifie Évelyne, qui précise, encore tout sourire : « N’ayant pas fait d’étude, je n’avais de toute façon pas beaucoup le choix… » Enfin, dit-elle, cela lui permet d’échanger et d’apprendre de ses patients qui lui parlent de leur histoire.

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Pas de bol

Cela lui permet surtout d’être en mesure de déposer un dossier de candidature à la régularisation. Grâce à une connaissance, elle a découvert l’association Réseau chrétien-immigrés (RCI) qui a pris les choses en main. « Quand on ne connaît pas, c’est très difficile, surtout qu’il y a plusieurs possibilités… pour les demandes. »

Chacun peut déposer une demande pour l’obtention d’une carte de séjour dédiée aux étudiants, mais aussi « salarié », « travailleur temporaire », ou, encore « vie privée, vie familiale » et « maladie ». Que choisir ? Quels documents fournir à l’administration ? Évelyne opte alors pour la carte de séjour « salarié ». Mais cela n’a pas toujours été le cas.

Elle a penché d’abord pour l’option « vie privée, familiale » – qui lui aurait permis de travailler –  puisqu’elle s’est mariée après avoir fui le domaine du Sud de la France. Et cela, avec un homme qui, malheureusement, est… décédé quatre mois après les échanges d’alliances. Pas de bol : la carte de séjour n’a pas pu lui être délivrée de suite, car il aurait fallu avoir vécu six mois avec son époux. Le  sort s’est acharné sur elle.

À ce moment-là, elle avait un récépissé, un document temporaire que la préfecture donne à ceux qui déposent une demande de première carte de séjour ou une demande de renouvellement de celle-ci. Tout ça, afin d’autoriser les candidats à séjourner en France durant l’examen de leur dossier. Mais, au bout de quelques temps, le récépissé n’est plus renouvelé. Et Évelyne de recevoir à son domicile dans la Haute-Marne – là où elle a partagé sa vie avec son défunt mari, après sa fuite du Sud – un courrier recommandé de la part de la préfecture de police qui lui a ordonné de quitter le territoire dans les trois mois.

territoire francais oqtf

Ce n’est pas de ma faute !

Cette OQTF, comme on dit dans le jargon, est sans appel et incite le propriétaire de son logement à ne pas lui prolonger le bail, sous prétexte que c’est son mari qui avait été premier locataire. « On m’a raconté que je n’avais plus d’attache ici…  » Évelyne, qui porte encore le nom de son compagnon, fait une pause dans son récit, une larme semble vouloir s’échapper de son œil. Je sens de la colère, outre la tristesse. « Tout ça, ce n’est pas de ma faute ! Je ne suis pas à l’origine du décès… »

Au commissariat de sa commune, on lui a ensuite conseillé… de s’en aller et de monter à Paris. « On m’a dit : « Je serai obligée de t’arrêter, sinon… » » Du coup, elle a fui à nouveau pour se cacher. Et croisé la route de la personne qui l’orientera vers l’association RCI. Pas évident : « La police m’appelait… On me disait qu’il fallait que je me rende au commissariat pour récupérer un courrier. Je répondais que je viendrais. Or, je ne suis pas venue, forcément. »

L’association s’occupe d’elle : assez vite, la Camerounaise n’est plus expulsable et obtient, après une lutte acharnée, sa carte de séjour pour trois mois, puis pour un an, et au bout de trois années, on lui délivre le document lui laissant la possibilité de séjourner en France pendant dix ans. Le Graal ou presque. « Quand on obtient ses papiers, on a envie de sortir, de se promener dans la rue, comme tous les Français, de faire ses courses… » Devant moi, elle s’interroge, en sirotant un café : « Qu’aurais-je fait sans l’association ? » Ces personnes qui l’ont aidée administrativement sont devenues des amies.

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Le goût de l’autre

Il y a notamment Nathalie Baschet, membre du RCI et coordinatrice du programme, Le goût de l’autre. À partir de 2008, celle-ci organise une fois par mois des repas entre Français et « migrants » à la mairie du 4e arrondissement de Paris, pour abattre les clichés. Elle cherche des cuisiniers bénévoles. Son amie Céline Dumont, qui a suivi le dossier d’Évelyne, organise une rencontre, puisque cette dernière aime beaucoup jouer à être cheffe de brigade. Le courant passe de suite entre les deux femmes. Comme la situation de la Camerounaise s’est régularisée, elle se pointe à une première soirée. L’idée lui plaît, car cela permet de rencontrer des personnes qu’elle n’a pas l’habitude, forcément, de croiser au quotidien.

Mais c’est surtout car elle prépare – avec gourmandise – les plats principaux des repas. Elle réitère l’expérience à de nombreuses reprises, pour faire découvrir la cuisine de son pays natal combinant dans l’assiette épices et condiments. Sans oublier d’inviter ses sauveurs parisiens, comme elle les appelle. « J’aime dresser une bonne table, servir de bons mets et regarder les gens manger », me glisse-t-elle. Il faut dire qu’Évelyne a appris à cuisiner très jeune. « Mes parents étaient très stricts : une fille doit savoir repasser et cuisiner, alors je suis passée aux fourneaux rapidement… » Je lui demande si elle a envie un jour d’ouvrir un restaurant. « Si j’avais de l’argent, pourquoi pas ? » Elle rit.

Non, en réalité, son rêve le plus fou n’est pas d’enfiler une toque de cheffe, mais d’obtenir la nationalité française. Ça, elle y pense en se levant chaque matin. C’est l’objectif ultime : « Faut que je commence à me renseigner… »  Et « on verra bien », si ça marche. Évelyne y croit, et son optimisme impressionne. Le combat se poursuit. (*: prénom d’emprunt) / Philippe Lesaffre