À l’heure du confinement, Le Zéphyr prend la température du pays. Dans les Vosges, Sonia nous raconte son quotidien bouleversé par le virus. Maman d’une jeune fille à haut potentiel intellectuel (HPI), à trait autistique, elle a dû revoir ses priorités avec son mari Jérôme, également « zèbre ». Entretien.
« On va bien, on a réussi à prendre nos marques, mais cela n’a pas été évident, il a fallu s’adapter au confinement. » En pleine pandémie, nous avons retrouvé Sonia, la maman de Pauline, 10 ans et détectée HPI (prénom d’emprunt pour garder son anonymat). En décembre 2018, Sonia et Jérôme, également détecté « zèbre », avaient accepté de partager leur quotidien, loin des clichés sur les « surdoués » (à lire ici). Les deux ont dû tout chambouler pour assurer le bien-être de leur fille, actuellement en 6e (elle a sauté une classe).
Le Zéphyr : Comment Pauline a-t-elle réagi à la pandémie mondiale ?
Sonia : Pauline, qui s’informe beaucoup, a vite compris que l’épidémie déclarée en Chine était très grave. Cela a généré des angoisses que l’on n’a pas su tout de suite mesurer. Dès janvier, elle a pris ses précautions à l’école, ses distances avec les autres. Elle était inquiète de voir que ses camarades ne changeaient rien à leurs habitudes, pire, que les adultes continuaient à se serrer la main, et se toucher.
« Elle était inquiète pour nous »
Le virus a très vite progressé en Europe, puis en France.
Quand les premiers cas déclarés en France ont surgi, l’angoisse a grandi. C’était tout près, et elle avait peur de ramener le virus à la maison. Elle s’est stressée à l’école pour mettre en place les gestes barrières. Notre fille a compris également que ses parents étaient vulnérables, et s’est demandée inconsciemment ce qui pourrait arriver s’ils tombaient malades. Elle était inquiète pour nous, et, du coup, pour elle.
Lors des dernières semaines avant la fermeture de l’école, on a remarqué qu’elle se déconcentrait et décrochait un peu. Jérôme, qui s’occupe de sa scolarité, a essayé de la remettre au travail, mais il a bien senti qu’elle avait du mal. Elle ne parvenait plus à réaliser des choses qu’elle sait en principe bien faire, comme les additions.
Elle était à fleur de peau à la maison, recherchait de plus en plus le contact physique avec moi pour des câlins…
« Ma fille ne comprenait pas que je bosse »
Puis les écoles ont fermé…
Quand les cours ont été stoppés, ses repères ont été bousculés, ont volé en éclat. Qu’allait-il se passer ? Elle a toujours ce besoin d’être rassurée et de se reposer sur des choses concrètes. Or, là, Pauline a eu des interrogations. Au sujet des cours, du déroulement des devoirs, des notes… Cela l’a vraiment stressée.
Par ailleurs, elle sait que je suis assistante sociale, et elle ne comprenait pas que je bosse, vu que son école était fermée. J’ai de nombreuses interactions, je vais à domicile… Et cela lui faisait peur que je sois exposée ! C’est une spécificité des HPI : ils ont une lucidité sur le monde qui les entoure. Et Pauline a rapidement compris que ce n’était pas une grippe ou juste un bobo.
« Elle avait trouvé son équilibre avant la pandémie »
Son stress s’est manifesté de quelle manière ?
Pour supporter l’insupportable, elle a coupé et s’est réfugiée dans sa bulle. Elle, si enjouée, n’a plus goût à grand-chose. Pauline a recommencé à faire des tours de jardin. Elle a remis en place tous ces rituels qui la rassurent en période de stress. Sauf que ces manifestations avaient disparu vu qu’elle avait trouvé son équilibre avant la pandémie.
Comment cela s’est-il passé pour les leçons ?
Le collège a donné les consignes pour récupérer les devoirs, les cours, les évaluations à effectuer, sauf que nous n’avons eu accès à rien. Nous ne remettons pas en cause l’Education nationale, l’école a fait du mieux qu’elle pouvait. C’est aussi compliqué pour les enseignants. Chacun, de sa place, fait du mieux qu’il peut.
Les différents canaux de communication étaient inaccessibles, et nous avons vu notre fille se décomposer. Finalement, nous avons réussi à avoir les cours via les boîtes mail perso, comme les autres parents – mais il y avait du pain sur la planche, beaucoup de leçons, comme si les enfants étaient huit heures par jour à l’école. Mais, pour préserver son bien-être, il a fallu prendre des décisions rapidement.
Qu’avez-vous fait du coup ?
À la fin de la première semaine, nous avons adressé un mail à la directrice lui signifiant que Pauline était en détresse psychologique, que nous l’inscrivions au CNED et que Jérôme continuait de l’accompagner, mais qu’elle ferait aussi les devoirs que nous pourrions recevoir de l’école. La directrice nous a renvoyé le soir même un mail où elle s’est montrée bienveillante et compréhensive. Elle nous a donné toute sa confiance à Pauline sur ses capacités à se mobiliser pour sa scolarité ainsi qu’à Jérôme.
« Peu à peu, elle s’est reconnectée à nous »
Cette réponse a soulagé notre fille, qui avait peur d’être sanctionnée, stigmatisée. Mais il a fallu encore la sortir de sa bulle… Nous avons beaucoup parlé avec elle, j’ai tenté de la ramener à nous, par le toucher, les câlins, la douceur, les activités comme la pâtisserie, les promenades dans le jardin, le dessin, la danse… Pour qu’elle reste en contact avec ses amies, nous lui avons également créé un compte Skype. Et, peu à peu, elle s’est reconnectée à nous, aux autres, au monde.
Et pour l’école à domicile, cela a marché ?
Oui. Le lundi matin, au début de la deuxième semaine, elle a rattrapé son retard et a fait les devoirs de la première semaine en deux heures.
La préoccupation de Jérôme est de ne pas aller trop vite non plus : il ne faudrait pas, qu’à son retour, et qu’à la rentrée en 5e, elle soit trop en avance et s’ennuie. L’ennui, c’est son pire ennemi, comme tout enfant HPI, d’ailleurs.
Besoin de solitude
Et comment ça se passe pour Jérôme ?
Ce confinement pour Jérôme n’est pas compliqué ; il peut se passer aisément de relations sociales ! Il a toujours dit que son rêve le plus fou serait qu’on aille vivre seuls en haut d’une montagne! Mais il ne veut pas ça pour sa fille, il veut lui donner toutes les chances de pouvoir trouver sa place dans ce monde, de lui donner les codes, de l’ouvrir sur les autres.
Ce qui a changé quand même pour lui lors de ce confinement, c’est que nous sommes tous les trois à la maison H-24, et lui, qui a besoin de calme, de solitude, ce n’est pas simple… Mais nous nous en sortons bien ; la maison et le jardin sont suffisamment grands pour que chacun trouve sa place, s’isole s’il en ressent le besoin.
Quand Pauline allait au collège, Jérôme devait la nourrir intellectuellement une à deux heures par jour. A présent, c’est au moins 5 h quotidiennes, il doit redoubler de créativité ! Notre fille lui a par exemple demandé de lui apprendre l’espagnol (Jérôme le parle couramment).
Elle continue de s’informer ?
Elle a une radio dans sa chambre et cela lui arrive de l’allumer pour se tenir au courant des dernières nouvelles. Or, nous l’avons éloignée des journaux télévisés. Nous lui indiquons ce qui est essentiel, sans rien lui cacher de la gravité de la situation. Elle ne le supporterait pas, n’aurait plus confiance en nous.
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Dans l’article qui raconte votre parcours sur Le Zéphyr, en décembre 2018, vous disiez sensibiliser sur les enjeux des HPI. Vous avez poursuivi cette mission ? Et avec quels succès ?
On a continué évidemment ! Dernièrement, on a rencontré Stéphane Viry, député LR des Vosges, un élu de notre département (mais pas de notre circonscription). Il s’est montré compréhensif. Il a adressé en mai 2019 un courrier pour proposer au ministre Jean-Michel Blanquer l’organisation d’un événement sur le sujet. À ce jour, toujours pas de réponse. Les pouvoirs publics ont du mal à se saisir et à s’emparer des enjeux des HPI.
« Créer ensemble des passerelles »
En outre, l’été dernier, j’ai été contacté par une maman du collège dont le fils est également HPI. Elle souhaitait qu’il se passe quelque chose, car ces enfants ont du mal à trouver leur place et les équipes pédagogiques à saisir comment ils fonctionnent et à répondre à leurs besoins spécifiques.
Qu’avez-vous imaginé pour ces enfants ?
À la rentrée dernière, on a formé un collectif de parents dont l’objectif n’est pas, j’insiste, de s’opposer, de critiquer l’équipe pédagogique. Il s’agit de créer ensemble des passerelles avec les profs et de leur donner le mode d’emploi de ces élèves, mettre en place des outils pour ne laisser aucun enfant sur le bord de la route. Certains jeunes sont étiquetés « perturbateurs », d’autres s’autocensurent n’osant pas montrer leurs savoirs, et s’effacent. On a lancé un atelier pour les HPI au sein du collège. C’est un temps pour eux, ils échangent, font tomber le masque, se déchargent, partagent leurs astuces. Et cela leur permet de mieux se connaître.
« Ce qu’il y a dans la tête des HPI »
Qui anime cet atelier ?
On ne voulait pas une personne étiquetée « psychologue » ou « professionnelle ». On souhaitait une personne crédible pour les enfants, et on a pensé à Jérôme. Depuis plusieurs années, il aide Pauline avec plaisir. Et il sait mieux que quiconque ce qu’il y a dans la tête d’un « zèbre ». Au début, il a hésité – c’est une lourde responsabilité. Il se demandait s’il en était capable, car chaque enfant a sa spécificité. Par ailleurs, il aime rester dans l’ombre, s’exposer n’est pas dans sa nature. Mais il s’est fait violence et a accepté. Il mesure le potentiel des jeunes pas forcément exploité. Et il a observé les parents démunis et impuissants.
Et comment avez-vous convaincu l’école ?
Sur Twitter, Jérôme a interpellé le recteur de l’académie Nancy-Metz Jean Marc Huart et lui a demandé quand est-ce que l’on pouvait faire quelque chose à l’école pour les « zèbres ». Ils se sont vus en octobre 2019. Il lui a expliqué son parcours, la problématique des HPI à l’école et comment nous accompagnons Pauline. Il a soutenu notre démarche. Puis a envoyé l’inspecteur académique auprès de la directrice du collège de Pauline. Elle a donné le feu vert au lancement de l’atelier.
Quand a-t-il démarré ?
En janvier 2020. Huit enfants, dont Pauline, sont, pour le moment, inscrits dans le groupe (parmi les 20 enfants HPI « repérés » au sein de l’établissement, 16 garçons et 4 filles, sur les 200 élèves).
« Il estime que c’est son devoir »
Et cela s’est passé comment (avant la fermeture de l’école) ?
Jérôme ne leur a rien caché, ni son parcours scolaire chaotique, ni sur ce qu’il a vécu. Mais il leur assuré que cela ne l’a pas empêché de suivre des études, d’apprendre des langues, etc. Et les enfants sont restés sans voix. La confiance était gagnée. Jérôme n’a jamais eu de problèmes, y compris avec les élèves étiquetés « perturbateurs ». Ils sont à l’heure, demandeurs, impliqués, investis. Les enfants se montrent très lucides sur ce qu’ils traversent. Jérôme les valorise, les pousse dans leur retranchement, tout en essayant de ne pas commettre d’impaire (J’ai pu l’observer à une séance). Il conseille aussi les parents, se retrouve à faire du coaching.
Et cela lui plaît ?
Il estime que c’est son devoir. Mon époux n’a pas toujours eu d’appui dans sa propre scolarité, et il veut « donner » ce qu’il n’a pas eu aux jeunes. Jérôme a vécu des humiliations, il a souffert de ne pouvoir être lui, de ne pouvoir montrer son savoir, car étiqueté intello ou prétentieux. Il ne veut pas le même destin pour sa fille, ni pour les autres enfants qu’il côtoie… / Propos recueillis par Philippe Lesaffre