EDITO – Les médias ont tout à gagner à expliquer ce qu’ils font et pourquoi ils le font. Une approche horizontale entre rédactions et lecteurs est nécessaire.

Il y a quelques jours, les représentants des grands éditeurs de presse se réunissaient à Paris pour adopter une ligne commune face au défi lancé par les géants de l’Internet américain. Avec l’adoption d’une loi portant sur la protection des droits voisins et des productions journalistiques, Google, Facebook ou Twitter sont désormais sommés de rémunérer les médias dont ils relaient, en tout cas Google, les publications sur leurs plateformes. Face au refus des GAFA d’obtempérer, lesdits éditeurs s’apprêtent à déposer plainte contre Google auprès l’Autorité de la concurrence.

les couvertures du Zéphyr

Oui, les éditeurs et producteurs d’information méritent d’être justement rémunérés par ceux qui exploitent leur travail pour valoriser et enrichir leurs plateformes. Le combat qui vient d’être initié représente une part de l’équation totale. Une part, seulement…

Derrière cette bataille juridique a priori déséquilibrée, un enjeu autrement crucial émerge : les médias perdent le contact avec leur public et ne savent pas résorber ce problème. D’aucuns diraient qu’il suffit d’observer (à distance) les usages d’une cible, d’en décortiquer les habitudes numériques, de développer des projets idoines pour y parvenir.

Mais malgré le talent et l’engagement déployés par les éditeurs pour lancer de nouveaux services en ligne, le fossé continue inexorablement de se creuser. Si le vide n’est comblé par aucun nouvel outil, par aucune campagne ciblée, que faire ?

Au Zéphyr, nous pensons que tout passera par une démarche (réellement) horizontale associant les journalistes et le public. De la défiance omniprésente aux scandales à répétition en passant par la diatribe de tribuns de seconde zone…

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Tout indique que la relation classique du producteur au consommateur a vécu. Depuis quatre ans, Le Zéphyr défend un journalisme à hauteur d’homme, porte des récits personnels, des portraits et des aventures humaines qui éclairent l’actualité d’un nouveau jour. Ce travail passe par des enquêtes en profondeur sur le terrain, auprès de nos nombreuses sources locales, sur le web également à la recherche de signaux faibles… Mais cela passe, avant tout, par une relation de confiance que nous cultivons avec nos interlocuteurs et nos interlocutrices. Et cette relation se construit, à nos yeux, par des échanges directs et concrets.

Une approche horizontale est nécessaire

Bien évidemment, il ne s’agit pas de transformer BFM TV en épicerie de quartier. Mais les exemples portés par Mediacités ou d’autres prouvent que de belles choses peuvent émerger du web et du monde réel.

Mediacités, par exemple, joue la carte de la transparence et de la coconstruction à l’orée des élections municipales de 2020. Le média de l’investigation locale sollicite donc ses lecteurs et abonnés pour imaginer ensemble des sujets, prendre le pouls d’une région, comprendre les rouages d’un sujet et les spécificités d’un territoire. Au-delà d’une campagne de financement destinée à soutenir ses prochaines enquêtes, Mediacités a récemment engagé un journaliste de talent dont la mission est justement de créer et faire fructifier un lien entre la rédaction et ses lecteurs. Ex-membre d’OVNI et cofondateur de l’Imprévu, Pierre Leibovici a la charge de faire comprendre au public l’approche originale et sans concession de Mediacités.

Dire ce que nous sommes

Pourquoi créer du lien alors que des produits alléchants pourraient tout aussi bien attirer des consommateurs en nombre ? Parce que cette notion de simple consommateur a, elle aussi, vécu. Le journalisme, le vrai, ne se résume pas à produire et vendre des boites de concentré de tomates. C’est un échange d’idées, un dialogue entre des esprits qui s’enrichissent mutuellement.

C’est également un rapport humain que l’illusion des « solutions imparables » a mis de côté pour un temps. Il est temps d’y revenir et de dire au public ce que nous sommes, ce que nous faisons, pourquoi nous le faisons.

Cela passera par le rappel de quelques bases élémentaires : les journalistes sont des hommes et des femmes comme les autres, d’éternels étudiants qui revendiquent leur ignorance sur nombre de sujets et leur volonté farouche d’en apprendre toujours plus, pour transmettre ensuite à leur public.

La production et la diffusion d’une information de qualité représente un coût important auquel le public ne doit pas se soustraire s’il veut défendre des médias viables et utiles. Cela passera également par une démarche d’éducation aux médias qui permettra, notamment, de balayer les fake news les plus répandues et les poncifs les plus éculés.

Le public en première ligne

Au-delà de ces rappels, le public doit impérativement prendre sa part de responsabilité dans le redressement du paysage médiatique et dans l’émergence de concepts utiles. Débourser quelques euros pour financer un projet est une chose, agir en faveur des médias de qualité en est une autre. L’avenir des médias ne se fera pas sans l’apport et l’appui des citoyennes et des citoyens. La campagne de sauvetage de StreetPress est une réussite non pas parce que le site de la rédaction offre des services et des gadgets inédits, mais parce que le projet a un sens profond.

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Mediapart, Les Jours, StreetPress… Autant de médias d’utilité publique portés par leurs lecteurs. Autant de structures qui, non seulement produisent un journalisme de qualité, mais sont devenus les réceptacles de valeurs civiques et humaines auxquelles les internautes s’identifient. Quoi qu’il arrive, le public aura les médias qu’il mérite.

Si, demain, la plupart des grands médias lance des démarches concrètes de médiation, d’explication, de décryptage, le public disposera d’une source supplémentaire d’information lui permettant de comprendre le processus de fabrication d’un produit médiatique.

Voici nos billets pour comprendre l’envers du décor de la rédac du Zéphyr)

Cette même source lui permettra également de sourire lorsqu’il lira dorénavant que « les journalistes gagnent, en moyenne, 60 000 euros par mois », que « les journalistes censurent volontairement les gilets jaunes » ou que « les médias sont tous aux ordres du pouvoir politique ». Derrière ces fadaises, il n’y a pas que des erreurs. Il y a également une volonté de plus en plus insistante de nuire à la démocratie. Il appartient à toutes et tous de s’y opposer.

Si une majorité de médias se décide à embaucher des personnalités chargées des relations avec le public, la communication se fera dans les deux sens. Deux éléments simples, concrets, réalistes, qui permettraient de ne plus percevoir les GAFA comme l’alpha et l’oméga de l’avenir des médias en France. /Jérémy Felkowski