Journaliste, combattante infatigable, puits de culture, Osange Silou-Kieffer nous a quittés le 1er avril 2020. Malade depuis plusieurs mois, elle a succombé après s’être battue avec ses armes. Mais son décès, survenu 16 ans après la disparition de son mari, le journaliste Guy-André Kieffer, ne saurait être un point final à son histoire. Son œuvre et son engagement continuent de parler pour elle.

Spécialiste du septième art

Il paraît que prononcer le nom d’un disparu ajoute des graines d’éternité à son histoire. Les Zéphyriens ont donc décidé de prendre la plume pour vous parler d’Osange Silou-Kieffer. Femme de culture, femme de combat, femme de cinéma, femme de passion. Femme de… mais pas seulement. Nous avions rencontré Osange en avril 2016. À l’époque, elle et sa fille Canelle tentaient une nouvelle fois d’alerter les médias et les consciences sur le sort de Guy-André Kieffer, brillant journaliste disparu en 2004 en Côte d’Ivoire à cause du travail d’enquête qu’il effectuait dans le pays. Mais, à leurs appels, elles n’auront trouvé qu’une indifférence quasi générale. Seules quelques voix s’unissaient encore aux leurs lorsqu’il s’agissait d’alerter sur la situation de leur père et mari. Le Zéphyr faisait partie de ces quelques voix et décidait de publier un long article (toujours disponible sur le site) à leur propos quelques jours plus tard. Un large portrait associant des mots qui, aujourd’hui encore, nous suivent à la trace : « Force de vie, détermination, dignité, amour inconditionnel, constance ». Ces mots-là décrivent avec une infinie précision le parcours d’Osange sur Terre.

les couvertures du Zéphyr

Spécialiste du septième art d’Afrique et des Caraïbes, Osange Silou-Kieffer s’est engagée pendant plusieurs décennies pour valoriser et porter au grand jour ce pan du cinéma qu’on laisse si souvent à l’ombre des blockbusters hollywoodiens et des films d’auteur à la sauce tricolore. Pour ce faire, elle qui a notamment réalisé le documentaire Cannes 96 : cinémas d’Afrique a entrepris un travail de référencement, de qualification, de description et de mise en valeur de nombreuses œuvres. Et ce, dans un but : mettre des mots sur des histoires méconnues et pourtant essentielles, donner une existence à des cultures laissées sur le bas côté de la route.

Journaliste exigeante, historienne de l’art et sociologue, elle avait créé le Prix Océans France Ô du court métrage. Un projet qui lui tenait particulièrement à cœur comme l’ont confirmé tous ceux qui ont travaillé à ses côtés. Mais, au-delà, ce prix aura permis de mettre en avant des artistes et des plumes en récompensant un scénario venu des Outre-mer. Interrogée par nos confrères de France Info, l’acteur Jacques Martial assurait qu’Osange était « la transmetteuse de ‘nos’ cinémas », tant sa contribution était grande dans le domaine. Lui qui est apparu dans plus d’une vingtaine de longs métrages insiste sur ce rôle de guide et d’accompagnatrice : « Son combat était de promouvoir les jeunes, de leur permettre de se réaliser. » Un rôle qui la conduit également à mettre en place un concours de scenarii au Festival de Cannes avec la journaliste Marijosé Allie.

Des talents qui ont émergé grâce à elle

Pour Canelle, sa fille, toute l’histoire d’Osange tient dans un principe simple et concret : placer les autres au-dessus de tout, s’engager pour eux, les aider et les soutenir sans jamais rien attendre en retour. Si elle regrette que certains indélicats se soient servis de cet état d’esprit pour parvenir à leurs fins, la jeune femme se remémore tous les noms et les visages que la famille a croisés. « Ma mère a aidé de trop nombreuses personnes pour que je puisse en dresser une liste. Elle les accueillait à la maison, les aidait à écrire, les remotivait quand ils allaient mal et qu’ils doutaient. Elle se battait pour leur obtenir des aides et des soutiens financiers. Elle était avec eux. Elle était à leurs côtés. »

Parmi les talents qui ont pu émerger grâce à Osange, Canelle dénombre Fabrice Pierre, un jeune réalisateur guadeloupéen qu’elle a aidé pendant des années, Serge Poyotte, qui a réalisé son premier long métrage et pour qui elle s’est battue pour que son premier court-métrage obtienne des aides. Canelle se souvient également de Nicolas Polixene, un réalisateur martiniquais, qu’Osange a suivi depuis son tout premier court métrage étudiant.

Grandir aux côtés d’une telle maman n’est pas toujours évident, comme le souligne Canelle. Elle décrit cette phase comme une sorte de « malabar bi-goût », selon ses propres mots. Un clair-obscur où l’héritage de valeurs et d’enseignements doit constamment être assimilé, évalué, évoqué. Si elle a très tôt su à quoi s’attendre dans le monde de la production où elle multiplie aujourd’hui les projets, la jeune femme a ressenti un besoin pressant de faire ses preuves, d’écrire sa propre histoire. Une histoire qui n’appartiendrait qu’à elle.

« Je me souviens qu’on s’est souvent disputées au sujet de mes projets. Elle voulait m’apporter son aide. Je préférais me construire toute seule. Je voulais que ce soit mon nom qui soit associé à mes projets. Je voulais faire mes preuves. Au fur et à mesure, j’ai également compris que c’était un enrichissement de l’avoir à mes côtés, que ce n’est pas une tare professionnellement d’être sa fille. Elle m’a donné une ouverture d’esprit, un regard, une manière de travailler. »

Le tout premier festival de ciné de Martinique

En mai 2018, une délégation de lycéens venue de Morne-à-l’Eau, en Guadeloupe, s’était rendue au Festival de Cannes pour participer à un projet d’étude. Au cours de leur séjour, ils ont pu rencontrer la journaliste et échanger avec elle. Les jeunes venaient tout juste de remporter la médaille d’or des « Méliès de l’espoir » dans le cadre du concours régional d’Ile-de-France de cinéma et de court métrage, organisé par la Fédération française de cinéma et vidéo. À bien des égards, la détermination se nourrit d’une folie créatrice, d’une pulsion de mouvement. C’est une force de vie qui vous entraîne sur des sentiers escarpés et des territoires que l’on va s’empresser d’explorer pour faciliter le voyage des autres. En près de quarante ans de carrière, Osange Silou-Kieffer aura innové, défendu, porté, protesté. Elle aura organisé des festivals et des conférences, imaginé des projets qui profiteraient à d’autres. L’auteure, en 1991, de l’ouvrage Le cinéma dans les Antilles françaises, qui fait encore référence trente ans après sa parution, a lancé le tout premier festival de cinéma de Martinique.

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Entre les projets qu’elle a développés, les jurys dans lesquels elle a siégé, les agences qu’elle a dirigées, le déroulé de son CV prendrait des allures de marathon. À cet exercice, elle aurait sans doute préféré que l’on évoque celles et ceux qui ont bénéficié de son aide. Présidente de la Mission cinéma Caraïbes, Felly Sedecias a rendu un hommage personnel à Osange sur le site officiel du Festival régional et International du film de Guadeloupe en 2020. Elle y a décrit par le menu la force de travail, le sens de la rigueur, la passion qui animait son amie. Ces mots-là ne s’inventent pas. Ils ne se relaient pas. Ils se lisent directement au travers de la plume de Felly Sedecias.

« Les gens comme elle sont les plus rares. Il faut en avoir conscience, assure Canelle. Elle pouvait suivre un étudiant, le remotiver, lui faire comprendre qu’il pouvait y arriver s’il lui avouait avoir des doutes. Elle le faisait avec tout le monde. Et elle n’attendait rien en échange. Elle considérait que c’était son devoir d’aider les gens. » Même dans ses derniers instants, alors que le bip-bip des monitorings avaient chassé le roulis des bobines, elle continuait de se préoccuper des autres. Le personnel soignant qui se relayait à son chevet en mars 2020 assurait à ses proches qu’elle prenait des nouvelles de ses médecins, qu’elle leur remontait le moral, qu’elle les remotivait. Un sacré pied de nez à la faucheuse.

Dans les pas de sa mère

Bien évidemment, la question de l’héritage accompagne le souvenir d’Osange. Que faire de tous ces conseils, de la valeur de l’exemple, des histoires vécues et entendues ? Si Canelle concède qu’elle ne pourra pas marcher sur ses traces, elle se fait un point d’honneur à appliquer les préceptes que sa maman lui a transmis. « L’an dernier, on m’a demandé d’être jury dans un festival de documentaire. Je devais notamment départager deux films haïtiens. L’un avait clairement ma préférence. Mais au moment de voter contre celui que j’aimais moins, j’ai entendu comme une petite voix qui me disait : « Tu ne peux pas le laisser passer. Tu ne peux pas l’ignorer. » Et je me suis battue bec et ongles pour le soutenir. J’ai d’ailleurs dit durant les délibérations que je n’étais pas fan du film et que quelqu’un là-haut ne me pardonnerait pas de le laisser passer. Elle m’a appris à me battre pour des choses importantes. Des choses qui profiteront au plus grand nombre. Son héritage est là, dans cet enseignement, ses valeurs et sa ferveur. »

Le 1er avri 2020, une grande dame de cinéma et de culture nous a donc quittés. Une dame éprise du monde et de ses contemporains. Une dame qui abordait le temps avec une détermination sans faille. Elle professait à qui voulait l’entendre qu’il faut toujours croire en soi, qu’on ne doit jamais penser qu’une chose est inaccessible en raison de son sexe ou de sa couleur de peau. C’était le combat de sa vie. Cette dame s’appelait Osange Silou-Kieffer… / Jérémy Felkowski

Plus que les mots et les regrets, les lecteurs et lectrices du Zéphyr pourront se faire une idée de l’œuvre immense d’Osange Silou-Kieffer en quelques lignes. En près de cinquante ans d’engagement, elle a été des plus beaux combats. Ceux qui permettent l’émergence des talents et des passions. La marque des plus grands. Celle des gens qui œuvrent pour le bien commun. Parmi tous ses projets, Osange Silou-Kieffer a notamment été :