Les trois citoyens opposés à l’A69, Thomas Brail, Reva et Célik, ont arrêté leur grève de la faim et de la soif après 24 heures sans eau. Ils espèrent que le projet de la voie rapide entre Castres et Toulouse sera définitivement abandonné. Les autorités ont annoncé une suspension des opérations de défrichement sur le tracé de l’autoroute temporairement.

Sous un parapluie rouge, il avance difficilement. Thomas Brail, fondateur du GNSA, se frotte les yeux devant une marée de téléphones filmant son retour sur le pont. Les forces de l’ordre avaient bouclé la passerelle Léopold-Sédar-Senghor, à Paris, des deux côtés à l’aide de banderoles de sécurité. Il a fallu négocier pour qu’il puisse rejoindre le rassemblement des opposants au projet de l’A69 entre Castres et Toulouse. Il est presque 15 heures, et il va pouvoir enlacer Reva, son partenaire de lutte. Il avait passé la première partie de la nuit ici au-dessus de la Seine, mais à la suite d’un malaise il avait été pris en charge par les secours puis emmené à l’hôpital, où on lui a donné une solution à base de glucose. Le grimpeur du Tarn n’avait plus mangé depuis le 31 août dernier, et avait cessé de boire lundi 9 octobre en début d’après-midi.

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Suspension des travaux

Il retrouve ses compères, sous le soleil brûlant d’automne. Il est à bout de force, n’arrive pas à esquisser de sourire. Il a besoin de s’asseoir. On l’emmène sous un barnum. Autour de lui, des citoyens, des élus à l’instar de l’eurodéputée Marie Toussaint (EELV) et des représentants d’associations comme les Amis de la Terre et Greenpeace. Après 24 heures sans eau, les deux s’hydratent, partagent un carré de chocolat sous les applaudissements des uns et des autres. Cyril Dion est arrivé. Assis, il les rafraîchit à l’aide d’un brumisateur.

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C’est une heure plus tôt que l’annonce tant attendue est tombée. Vers 14 h, en ce 10 octobre, les préfectures du Tarn et de la région Occitanie ont déclaré qu’elles suspendaient « les opérations de défrichement importantes » sur le tracé de la future voie rapide jusqu’à vendredi. Et la tenue d’un rendez-vous, organisée à la demande du ministère des Transports. Clément Beaune, la présidente de l’Occitanie Carole Delga, les maires et les élus du territoire concernés par le projet routier, ainsi que le collectif La Voie est libre (LVEL) et le Groupe national de surveillance des arbres (GNSA) y seront.

Les opposants à l’A69 espèrent que l’ensemble des élus des départements de Haute-Garonne et du Tarn, plutôt contre le projet de façon globale, y participeront, autant que l’ensemble des organisations opposées au chantier, y compris France Nature Environnement (FNE) et le syndicat la Confédération paysanne. Ainsi que des scientifiques, dont beaucoup ont affiché leur opposition.

« Une victoire pour l’État »

Thomas Brail l’indique, épuisé, les yeux dans le vague : « Un vote aura lieu pour définir le sort du chantier. » Il n’en peut plus. Accroupi, il laisse tomber son visage dans ses bras un long moment. « On veut que ça s’arrête définitivement, explique-t-il l’instant d’après, ce serait une victoire pour tout le monde. Même pour l’État, mais il ne le sait pas encore. »

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Reva ne disait pas autre chose quelques minutes plus tôt. Tout sourire, il l’assurait : « Il est possible de changer les choses, le peuple a du pouvoir. Oui, ça vaut le coup de se bouger. » Mais il sait que rien n’est encore gagné et précise qu’il repartirait au combat si le plan n’était pas abandonné en fin de semaine. « Protéger le vivant, c’est notre devoir », ajoutait-il, en buvant une gorgée salvatrice. Pour lui, c’est « une victoire collective », et il voulait que le plus de monde puisse le rejoindre sur le pont, lui et Celik, le troisième gréviste de la soif.

Depuis plusieurs minutes, des citoyens restaient bloqués derrière les barrières des forces de l’ordre. Cela l’embêtait. Alors, entouré des siens, dans l’attente encore de l’annonce des autorités, il s’était rendu aux deux extrémités de la passerelle parisienne pour arracher la banderole de sécurité, laissant passer des dizaines de femmes et d’hommes, venus le soutenir dans son combat. Ce, sous le regard médusé des policiers.

« C’est bien d’alerter »

Beaucoup de personnes se sont rendues sur place, parfois dès le matin, à l’aube, afin de rejoindre les grévistes. Des personnes de tout âge. Souvent car c’est « naturel » d’être là, comme le dit Eneko, un jeune étudiant en sciences politiques. « J’espère que ça marchera, que leur combat aura servi à quelque chose », espérait Caroline, qui a profité de la pause-déjeuner pour venir sur la passerelle. « J’ai de l’espoir, disait une autre dans la matinée. Je me suis réveillée ce matin et j’ai senti qu’il fallait que je sois là. Il faut absolument qu’on protège la nature. Je le vois, quand je me promène en forêt à quel point les espèces disparaissent. Ils sont où les vers de terre ? » Elle venait d’échanger avec des touristes hollandais, à qui elle avait expliqué pourquoi se tenait une manifestation écologique. « Je comprends », avait lâché la dame avant de filer. « J’aide comme je peux », sourit-elle.

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« C’est bien d’alerter les passants, y compris en hurlant à celles et ceux sur les bateaux, on essaie », explique une autre, prenant bien conscience que « peu de monde n’est au courant du projet de l’A69 ». Elle donne de la voix : « Nous devons sauvegarder la terre, ne pas arracher les arbres. Avec les travaux, ils détruisent de nombreuses zones agricoles… » On la retrouvera dans l’après-midi : « Une suspension des travaux n’est pas suffisante. Je veux que le projet cesse définitivement, on se bat pour ça. » / Philippe Lesaffre