Cela fait 14 ans que David Ratte enchaîne les albums. Dans ses histoires, il aime croquer la société non sans humour. Dans Ma fille, mon enfant, il aborde la douloureuse question du racisme ordinaire. A quelques jours de la sortie de la BD, on en a parlé avec lui. Et on n’a pas été déçu.

Cet article est extrait du Zéphyr n°9 (Printemps 2021), Bande dessinée : le neuvième art sort de ses cases. Découvrez son sommaire, passez commande pour soutenir la rédaction.

Dans son album Ma fille, mon enfant, disponible à partir du 5 février aux éditions Bamboo, David Ratte s’attaque au danger du racisme ordinaire. Le scénario démarre ainsi : une mère voit d’un mauvais œil que sa fille Chloé sorte avec un garçon prénommé Abdelaziz. Elle exprime sa désapprobation, sa fille se fâche. Leur relation se tend. La maman est-elle raciste ? Elle jure que non, se défend, aborde le sujet avec son collègue Kader, qui lui rappelle qu’il est arabe. Mais personne ne se fait d’illusion… Elle est bien raciste.

les couvertures du Zéphyr
Ma fille, mon enfant de David RattePourquoi traiter ce thème, hélas encore d’actualité en 2020 ? « Bonne question », répond l’auteur du tac au tac, avant de rire un bon coup. Cela lui permet de se remettre dans le bain, quelques mois après être passé sur un autre projet de bande dessinée.

« J’ai ouvert les yeux »

David se concentre sur notre question… et, pour tenter d’y répondre, (re)plonge dans ses souvenirs de famille, lui le gamin d’un couple mixte de Besançon, une mère blanche franc-comtoise, un père noir antillais. « Le racisme, je n’en ai pas souffert, petit. Mais, en grandissant, j’ai ouvert les yeux et remarqué que ma mère avait senti une certaine désapprobation quand elle avait présenté son copain à ses parents. » Plus tard, avec sa femme d’origine espagnole, il a déménagé dans le Sud, à la frontière franco-espagnole, et remarqué qu’il n’y avait aucun étranger de couleur, dans la commune où il vivait. « J’avais tilté en croisant un jour un Noir dans la rue. Je sentais bien qu’il y avait de la méfiance entre les gens… » Le décor de Ma fille, mon enfant est planté. Pour le scénar’, il pioche des anecdotes glanées ici ou là et les mixe avec son imagination débordante.

Un auteur engagé ?

On s’interroge. Est-ce que des auteurs de BD doivent s’engager ? « ‘Doivent’, non. Mais ils peuvent, oui. On me pose souvent la question, mais je ne me sens pas comme un auteur engagé, en ce sens où je ne suis pas militant. » David aime, dit-il, humer l’air du temps et chroniquer son époque à travers ses albums. « C’est pompeux ce que je raconte… » Il rigole. « En tout cas, n’attendez pas de moi des histoires de dragons et de princesses », sourit-il. Dès 2006, alors inconnu, il se fait un nom avec le premier tome de sa série Toxic Planet (parue chez Paquet) qui aborde l’épineuse question de la… pollution sur Terre et pour lequel il reçoit le Prix du meilleur album d’humour du festival international de Chambéry en 2007. Plus de dix ans après, la thématique est au centre de l’actualité… et David s’apprête à en remettre une couche ? « J’ai fait le tour de la série, mais je peux de nouveau me pencher sur le thème de l’environnement. Donald Trump, Greta Thunberg… Il y a des personnages dans l’actualité qui m’inspirent. En bien ou en mal. » D’ailleurs, il consacre son prochain album aux réfugiés climatiques (à paraître en 2021).

« David dessine sans arrêt »

Le dessin, pour lui, c’est une longue histoire d’amour. « J’ai toujours eu besoin de dessiner au quotidien. Au bout de trois jours sans pratique, je ressens un manque. » On a lu sur un site qu’il a attrapé son premier crayon à trois ans. David sourit, encore une fois. « J’ai toujours entendu dire : ‘David dessine sans arrêt.’ » Pour une raison simple : « Fils unique, j’étais un garçon solitaire. » Un garçon qui n’a donc jamais posé le crayon, contrairement à beaucoup d’autres qui ont arrêté de gribouiller, à un moment donné, sur les marges des cahiers d’école durant leur jeunesse. Au collègue, le futur bédéiste crée un fanzine avec des potes grâce à un professeur fan de bandes dessinées ; après le bac, il intègre les Beaux-Arts, mais fait rapidement demi-tour. « Ce n’était pas pour moi, je suis autodidacte. » Il abandonne toute idée de formation, démarre un boulot de commercial dans la métallurgie… sans, pour autant, cesser ses projets perso, la nuit. ___________________________________________________________________________

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« On aurait dit que c’était nul, j’aurais alors tout arrêté »

David exerce sa plume, réalise des BD pour lui, mais ne les fait pas lire sa famille. Un manque de confiance qui ne dit pas son nom ? « On aurait dit que c’était nul, j’aurais alors tout arrêté. » Il passe la trentaine et se décide un jour, presque par hasard, à participer à un concours de dessin. Il envoie tout ce qu’il a en cours de création et finit 2e. Un tournant. Sa femme le pousse à frapper à la porte d’éditeurs et à montrer son travail. Il accepte et parvient à rencontrer le rédacteur en chef de Lanfeust mag (aujourd’hui disparu), pour lequel il écrira des histoires courtes, avant de sortir son premier album en 2006, Toxic Planet, et de… démissionner de son emploi en 2008. Sa carrière est lancée, il ne s’arrêtera plus. Malgré les récompenses qui tombent, longtemps David ne s’est pas senti véritablement auteur de BD : « Je pensais que c’était hors de ma portée, inaccessible pour moi. » Sans doute en raison de son parcours atypique et du fait d’avoir connu autre chose que le dessin. Toujours est-il qu’en près de 14 ans, il signe 25 albums. Et David de préciser : « Je ne bâcle pas, je bosse beaucoup, et j’ai la chance de bosser vite. C’est assez facile de passer des heures sur un dessin, de le peaufiner à l’infini. Mais, à un moment, il faut dire ‘stop, c’est fini, on passe au dessin suivant.’ Et je m’y efforce… » Tant mieux, c’est réussi. / Frédéric Emmerich