Entretien / William Buzy, journaliste, fondateur du média Impact(s), a publié son nouveau roman, Les justes (Nombre7 éditions). Une fiction (intéressante et amusante) qui lui a donné l’opportunité de « porter un regard sur l’âgisme ». Le pitch : Martin va avoir 75 ans, il va devoir rejoindre un Centre d’accompagnement vers une fin dans la dignité, avant que l’on mette fin à ses jours quelques jours plus tard. La loi l’impose, mais ça irrite sa petite-fille qui va essayer de le protéger, vaille que vaille.

« On a tous été confrontés, plus ou moins directement, à la réalité d’une personne âgée »

Le Zéphyr : Dans ton roman, tu as imaginé une société qui veut se débarrasser des personnes de plus de 75 ans… Pourquoi ? Quel est le message ?

William Buzy : L’idée était de poser, dans Les justes, un regard sur l’âgisme et sur ce que ça provoque en matière d’organisation de société. On a tous été confrontés, plus ou moins directement, à la réalité d’une personne âgée qui perd son autonomie, et, plus tard, à la gestion de sa fin de vie. C’est un secteur cynique et mercantile. De l’autre côté, on trouve des familles qui sont parfois dans des situations très inconfortables face aux choix proposés. Pris dans des paradoxes difficiles à résoudre. C’est une situation de violence extrême pour tout le monde. Le livre propose de pousser un peu tous les boutons pour imaginer ce que pourrait devenir une société qui ne sait plus quoi faire de ses vieux, et comment chacun réagirait en face. L’âge en lui-même est presque anecdotique. J’avais juste besoin que ce soit relativement jeune pour des questions de narration.

les couvertures du Zéphyr

« On ne prend jamais en compte la création de richesse indirecte d’un retraité »

Finalement, on leur « vole » leur retraite… Ce n’est pas une période « productive », donc pas intéressante pour certains…

C’est une idée qui est très présente. Elle est absurde à bien des égards, mais même en écartant toute considération autre qu’économique, on ne prend jamais en compte la création de richesse indirecte d’un retraité qui garde ses petits-enfants ou prépare les sandwichs dans un club de foot. Il y a, dans les sociétés occidentales exemplairement, une vision de la vieillesse relativement péjorative. In fine, la personne âgée est souvent vue comme un poids dès lors qu’elle perd son autonomie. Il ne me semble pas absurde de tirer cette ficelle et de voir, au bout du bout, qu’un pays plus ou moins imaginaire puisse en tirer des conclusions sordides. 

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Sa petite-fille refuse de voir partir son aîné et s’enfuit avec lui. Volonté de mettre l’accent sur l’entraide intergénérationnelle – dont on dit qu’elle n’existe plus ?

Il y a deux dimensions dans la création des personnages. Les besoins narratifs et l’envie de l’écrivain. En l’occurrence, j’avais envie de travailler avec un personnage féminin fort, et, effectivement, avec des générations différentes. D’où le fait que les trois personnages principaux représentent grosso modo trois âges de la vie : la jeunesse, l’âge adulte, la vieillesse. Je crois beaucoup aux liens intergénérationnels, mais pas uniquement dans le cercle familial. Y compris dans l’amitié, par exemple.

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« Si je suis à l’aise avec ce que je fait, si mon corps ne proteste pas, c’est que je fais la chose… juste »

Ensuite, la vraie question, c’est : qu’est-ce que je veux raconter ? À ce titre, j »étais très intrigué par la manière dont chacun peut réagir face à ce qu’il considère comme une injustice. J’avais donc besoin de personnages variés, qui vont de l’adhésion à la révolte, en passant par l’indifférence ou par une résignation plus ou moins marquée. Tous les personnages que l’on croise dans le récit sont très différents les uns des autres. Et, à leur manière, ils posent tous la même question : qu’est-ce que j’aurais fait à leur place ? C’est évidemment impossible de définir ce qui est juste ou pas, c’est propre à chacun.

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D’où le pluriel du titre, qui rappelle que chaque personne considère son action comme l’action juste. Une bonne métrique pour ça est notre corps. On peut dire ce qu’on veut avec la bouche, mais le corps ne ment pas. Si je suis à l’aise avec ce que je fait, si mon corps ne proteste pas, c’est que je fais la chose juste. Peu importe ce qu’en pensent les autres. / Propos recueillis par Philippe Lesaffre