Bernard Francou connaît la montagne par cœur. Et le chercheur l’étudie depuis plusieurs décennies, notamment les glaciers tropicaux, dans les Andes. “Partout dans le monde, dit-il, les montagnes tendent à se réchauffer plus vite qu’ailleurs et aussi vite que les régions polaires”. Conséquence, notamment : les glaciers reculent, la neige manque à l’appel…

Vous lisez un extrait du Zéphyr n°14 « Montagnes, merveilles et périls« . Le Zéphyr est un média indépendant, porté sur la protection du vivant, financé par ses lecteurs et lectrices. Découvrez le sommaire du spécial « Sommets » par ici, puis commandez l’opus. Vous pouvez aussi vous abonner et acheter le numéro en PDF. Bonne lecture !

Géomorphologue, glaciologue, Bernard Francou a publié avec Marie-Antoinette Mélières, le livre Coup de chaud sur les montagnes en 2021. Un ouvrage de sensibilisation visant à démontrer comment le changement climatique affecte les massifs qu’il aime tant. Notamment ceux de son enfance, dans les Hautes-Alpes. Face au changement perceptible, “le monde de la montagne doit se questionner sur la viabilité de ce modèle du ski en station et proposer une diversification des activités”.

les couvertures du Zéphyr

Les impacts sur les glaciers tropicaux

Le Zéphyr : D’où vous vient cette attirance pour la montagne ?

Bernard Francou : Je suis né en montagne, à Briançon, à 1400 mètres d’altitude. J’ai toujours aimé la montagne et lui ai rarement fait des infidélités en vivant ailleurs (au Canada et au Niger dans les années 1970). Mon père avait un magasin de sport et était photographe de montagne, il connaissait tous les skieurs qui passaient… Très vite, j’ai pratiqué les sports de montagne, l’escalade, l’alpinisme, le ski, de plus en plus le ski de randonnée que l’on appelait, à l’époque « ski de printemps ». Une activité pratiquée par neige stabilisée au printemps, l’hiver étant considéré comme plus dangereux.

Durant ma scolarité, j’ai très tôt été attiré par les sciences de la Terre et je me suis tourné naturellement plus tard vers la géologie. Et, plus particulièrement, la géomorphologie, c’est-à-dire l’étude de l’évolution des formes de terrain et des formations superficielles. J’ai rédigé au CNRS une thèse d’État en 1987 sur le sujet de l’éboulisation (chute de pierres et formation des éboulis en haute montagne, ndlr), un sujet qui m’a fait prendre conscience des nombreux mécanismes et dynamiques à l’œuvre dans ce type de milieu périglaciaire où le gel et la neige sont présents huit mois sur douze.

Par la suite, à partir des années 1980 – qui ont vu la parution des premiers rapports du GIEC -, je me suis focalisé sur le réchauffement climatique en montagne en étudiant les objets qui y sont le plus sensibles, les glaciers. J’ai alors choisi comme sujet d’étude les glaciers tropicaux, programme que j’ai développé au sein de l’Institut de recherche pour le développement (IRD) comme directeur de recherche et qui m’a valu de passer plus de vingt ans dans les Andes. Là, j’ai contribué à la mise en place, entre la Bolivie, le Pérou, et l’Équateur, d’un observatoire des glaciers reposant sur une collaboration scientifique avec des universités et des instituts de recherche locaux.

Depuis 2015, je me consacre à la sensibilisation auprès d’un large public sur cette question du réchauffement du climat en montagne, dans les Alpes et ailleurs dans le monde.

« Les effets de ce « coup de chaud » en montagne sont très marqués et rapides »

Cette évolution que vous observez vous inquiète-t-elle ?

Chacun peut faire cette expérience : se promener à plusieurs décennies d’intervalle sur le front d’un glacier et observer ce qui s’est passé. Petit, je me promenais sur le glacier Blanc, dans le massif des Écrins, dont il fallait franchir la langue terminale pour accéder au refuge. À présent, le même front se trouve plus de 300 mètres plus haut et hors d’atteinte des touristes qui suivent le sentier montant au refuge du glacier Blanc. Le glacier a reculé sans discontinuité depuis 1986. C’est le privilège de l’âge de se rendre compte combien la haute montagne a changé en cinquante ans. Et naturellement, cela bouleverse et affecte le moral ! Même si c’est un sujet passionnant à étudier du point de vue scientifique…

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Partout dans le monde, les montagnes tendent à se réchauffer plus vite qu’ailleurs et aussi vite que les régions polaires, arctiques et subarctiques. Les effets de ce « coup de chaud » sont très marqués et rapides, on s’en rend compte avec les glaciers, mais aussi avec l’enneigement, la stabilité des parois rocheuses contenant du pergélisol, la disponibilité de l’eau, et aussi avec le monde vivant, en particulier les plantes vivant en altitude.

« Pratiquement partout, à quelques rares exceptions près, les glaciers reculent« 

Dans votre dernier livre, Coup de chaud sur les montagnes, que vous avez rédigé avec la climatologue et physicienne Marie-Antoinette Mélières, vous vous interrogez sur les causes de la hausse moyenne de températures. Et vous écrivez que les réponses sont difficiles à trouver…

En effet, il faut d’abord pouvoir mesurer ce réchauffement sur une durée suffisamment longue. Ce n’est pas une mince affaire car, plus on grimpe en altitude, moins il y a de stations météorologiques, ce qui est logique. Et évidemment, en trouver les causes est une tâche ardue. On peut mettre en avant, en premier lieu, le déclin de l’enneigement. Dans les Alpes, par exemple, à moins de 2 500 mètres, la couverture neigeuse s’en va au printemps avec trois semaines d’avance par rapport aux années 1980.

Dès lors que le sol n’est plus recouvert de neige, le rayonnement du soleil est moins réfléchi et davantage d’énergie est absorbée par le sol. Ce qui contribue à augmenter la température de la basse atmosphère. Mais on constate que le réchauffement est également plus élevé dans les Andes tropicales, alors que le manteau neigeux ne tient jamais plus de quelques jours au sol. Alors, il faut trouver d’autres raisons, et parmi les “candidats”, il y a le rayonnement dans le proche infrarouge dont le bilan au sol tend à croître du fait de l’effet de serre. Cela, parce que l’atmosphère est de plus en plus humide en haute montagne.

Le déclin des glaciers est-il général dans le monde ?

Pratiquement partout, à quelques rares exceptions près, les glaciers reculent. Jusqu’à récemment, on n’en avait pas une vision globale, car les données manquaient. Désormais, depuis les années 2000, grâce à l’image satellitaire à haute résolution, on peut documenter l’ensemble des régions du monde, même les plus éloignées ! C’est révolutionnaire. Pour le livre Coup de chaud sur les montagnes, nous avons réalisé un tour de monde des données pour comprendre dans quelles régions la perte des glaciers s’accélérait du fait du réchauffement. On constate que le retrait glaciaire est partout plus important, surtout à basse altitude. Dans le livre, je cite le glacier de Chacaltaya, que j’ai étudié en Bolivie, au-dessus de La Paz, qui culmine à 5 400 mètres (ce qui est une altitude assez basse dans les Andes tropicales), et qui a disparu en 2010.

Pour entrer dans les mécanismes qui sont à l’origine de la perte des glaciers, il faut mesurer les flux qui s’échangent entre l’atmosphère et la surface. Mon équipe l’a fait dans les Andes, ce qui était assez nouveau à l’époque, et cela se pratique actuellement dans d’autres régions. On réalise un bilan d’énergie à la surface des glaciers, lequel permet de mettre le doigt sur les processus qui produisent l’augmentation de l’ablation, et on comprend ainsi pourquoi ils reculent avec le réchauffement de l’atmosphère.

« En limitant nos émissions de gaz à effet de serre, on limite la casse, c’est indéniable !”

Vous le dites, ce n’est pas tant « le climat des années à venir » mais « le climat des années écoulées » qui compte…

C’est contre-intuitif, mais c’est une réalité. Le front des glaciers réagit avec une inertie plus ou moins importante par rapport au climat, en fonction de la taille de ces glaciers surtout. Pour la Mer de Glace, en Haute-Savoie, il faut compter un peu plus d’une dizaine d’années pour qu’elle réagisse à une modification du climat qui conditionne la masse de glace qui est gagnée ou perdue par le glacier. Ainsi, un glacier recule pour s’ajuster aux conditions climatiques des dernières années écoulées.

Mes collègues glaciologues de Grenoble montrent, ainsi, que la Mer de Glace, par exemple, devra reculer encore au moins d’un kilomètre, quelle que soit l’évolution du climat des prochaines décennies, pour atteindre une taille conforme au climat des dernières décennies. Et comme il y a peu de chance que le climat se refroidisse dans le futur, une réavancée des glaciers est complètement improbable.

Concrètement, a-t-on franchi un point de non-retour pour les glaciers ? Sait-on à l’avance qu’ils vont disparaître d’ici la fin du siècle ?

Le climat va continuer de se réchauffer, même si on parvient à diminuer les émissions de gaz à effet de serre dans l’atmosphère dans l’avenir. Ce qui compte, ce sont les concentrations de CO2 atteintes dans l’atmosphère, car le temps de résidence de ce gaz y dépasse largement le siècle. Certains gaz à effet de serre restent moins longtemps, comme le méthane (CH4) – une dizaine d’années -, d’autres plus longtemps, comme les halocarbures qui sont des gaz à effet de serre produits par l’industrie et qui ont un temps de résidence qui dépasse le millénaire. Le climat ne se réchauffera plus dès lors que nos émissions seront proches de 0, ce qui n’est pas pour demain !

Mais, en limitant nos émissions, on limite la casse, c’est indéniable ! Les glaciers vont continuer à se réduire, et de nombreux massifs vont disparaître sans doute. Les simulations actuelles dont nous donnons quelques exemples dans le livre Coup de chaud sur les montagnes vont dans ce sens.

“Les glaciers, en perdant de la masse, peuvent renforcer les crues, on l’a vu au Pakistan”

« À la fin du siècle, il resterait, selon les scénarios, 18 % des glaciers présents en 2003 dans le meilleur des cas, et 4 % dans le pire des cas », écrivez-vous…

Ce sont les résultats des simulations faites dans les Alpes avec divers scénarios d’émissions. Nous sommes donc au pied du mur ! Mes arrière-petits-enfants ne verront sans doute dans les Alpes que quelques petits glaciers résiduels. Mais on peut limiter la casse en diminuant de façon drastique nos émissions de gaz à effet de serre dans l’atmosphère, et cela, sans tarder davantage…

Venons-en aux conséquences de la chute des glaciers.

Si l’ensemble des 200 000 glaciers de montagnes présents dans le monde venaient à disparaître, cela aurait pour répercussion d’élever le niveau de la mer de +30 à +40 centimètres environ. C’est relativement faible par rapport aux calottes polaires, le Groenland (+7 mètres) et l’Antarctique (+58 mètres). Mais si nous regardons les quantités d’eau larguées actuellement dans l’océan par la fonte des glaciers de montagne, ils font jeu égal avec les calottes polaires : ils contribuent à 28 % de la hausse du niveau de la mer, tandis que cette contribution est de 28 % pour le Groenland et de 15 % pour l’Antarctique. Le reste, c’est de la dilatation thermique. Rappelons que la hausse du niveau de la mer moyennée depuis le début des années 2000 est proche de 3,3 millimètres par an.

Quelles autres répercussions notez-vous ?

En premier lieu, des conséquences hydrologiques. Cela va jouer sur la ressource en eau. Elle va diminuer pour l’irrigation, l’eau potable, la génération hydroélectrique, le refroidissement des centrales nucléaires, et tous les autres usages… Mais le phénomène est plus complexe que ça. Dans un premier temps, les glaciers déstockent de l’eau, car ils fondent beaucoup et font grossir les débits. Mais dans un second temps, l’apport glaciaire à l’hydrologie baisse jusqu’à devenir nul dès lors qu’il n’y a plus de glaciers. Le tout est de savoir quand on aura atteint ce pic de contribution des glaciers aux débits des fleuves et des rivières. Nous donnons des exemples dans le livre pour diverses régions du monde, y compris les Alpes.

Ensuite, il y a comme conséquence du recul glaciaire la possible augmentation des risques. Les glaciers en perdant de la masse peuvent renforcer les crues, on l’a vu au Pakistan à l’été 2022, où elles ont été exceptionnelles. Les masses de glace peuvent également devenir plus instables en grosse période de fonte à cause des quantités d’eau qui y circulent : on l’a noté cet été dans les Dolomites avec l’effondrement partiel de la Marmolada. Les lacs abandonnés par le recul des glaciers sont également des zones instables et les risques de débordement sont pris très au sérieux, notamment en Himalaya et dans les Andes.

Il y a aussi la question du réchauffement des glaces à haute altitude : au niveau du Mont Blanc, les glaces sont encore « froides » (à températures négatives) au-dessus de 3 800 – 4 000 mètres d’altitude, mais les carottages effectués à ces altitudes nous montrent qu’elles sont en train de se réchauffer. Et ce réchauffement, en changeant la dynamique d’écoulement des glaciers, peut provoquer des effondrements majeurs menaçant des zones habitées, comme des localités situées à l’entrée de la vallée de Chamonix. On doit donc également prendre ce risque très au sérieux pour en limiter les impacts.

Enfin, les glaciers font aussi partie du paysage de la haute montagne, c’est un patrimoine à préserver, qui fait rêver et qui attire les touristes… Dans d’autres régions que les Alpes, comme les Andes ou l’Himalaya, les glaciers sont associés à des mythes et à des phénomènes surnaturels, et leur recul actuel est vécu par les communautés montagnardes de façon particulièrement forte, comme remettant en cause leur propre identité.

“Nous assistons actuellement en haute montagne à un enrichissement de la biodiversité. Mais c’est un enrichissement temporaire”

Vous évoquez également un verdissement des montagnes avec le changement climatique…

Certains écosystèmes sont adaptés à la proximité des glaciers. Si ces derniers disparaissaient, les espèces adaptées à ce type de niche seraient vouées à disparaître aussi. D’une façon générale, les espèces, pour s’adapter au changement climatique, ont tendance à migrer en altitude pour retrouver les conditions auxquelles elles s’étaient adaptées. Avec le recul glaciaire, la disparition des névés, l’atténuation des cycles de gel-dégel qui rend les sols moins mobiles, la montagne verdit, ce qui traduit une densification des espèces et l’occupation de nouvelles niches.

En effet, les observations montrent que la migration des espèces s’effectue à un rythme accéléré depuis quelques décennies, ce qui va de paire avec le réchauffement. Cela va vite car, en montagne, l’espace à parcourir pour trouver de nouvelles niches est court, quelques centaines de mètres tout au plus, tandis qu’en plaine, les espèces doivent se déplacer sur des centaines de kilomètres. Nous assistons donc actuellement en haute montagne à un enrichissement de la biodiversité. Mais les spécialistes qui étudient le phénomène nous expliquent que cet enrichissement est temporaire, et que, tôt ou tard, certaines espèces finiront par être « mal-adaptées » aux nouvelles conditions climatiques et pourraient disparaître. On commence à observer que certaines disparaissent et sont remplacées par d’autres. Par exemple, l’androsace du Dauphiné, une espèce endémique du massif des Écrins, se trouve de plus en plus souvent dans un état dégradé, ce qui annonce peut-être à terme sa disparition.

“La neige, comme la glace, ont la particularité d’être d’excellents enregistreurs de la chimie de l’atmosphère, rien ne leur échappe !”

Les niveaux de pollution en altitude sont souvent assez élevés un peu partout sur Terre, comment l’expliquer ?

L’image de la montagne est associée à un milieu dans lequel on vient se ressourcer pour profiter d’un air pur… Des glaciologues ont effectué des carottages sur divers sites d’altitude situés dans plusieurs massifs à l’échelle de la planète. Les niveaux de pollution observés dans les neiges d’altitude sont souvent étonnamment élevés, comme aux abords de l’Everest, dans la vallée du Khumbu, dans les Andes au-dessus de l’Amazonie ou vers le sommet du Mont Blanc. Au Mont Blanc, vers 4 000 mètres, par exemple, la présence de nombreux métaux lourds et de suies ont été observées, laquelle est attribuée à la circulation des poids lourds traversant le tunnel du Mont-Blanc et à la combustion du bois de chauffage, laquelle peut être dans certaines circonstances assez polluante.

D’où la présence d’une brume blanche stagnant en fond de vallée, notamment en hiver par temps anticyclonique quand l’air a du mal à s’élever. Cette couche, ce n’est donc pas que de la vapeur d’eau, mais un aérosol contenant des résidus de combustion qui altèrent la pureté de l’air ! La neige, comme la glace, ont la particularité d’être d’excellents enregistreurs de la chimie de l’atmosphère, rien ne leur échappe !

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Les activités humaines impactent les territoires. Et le tourisme ?

Le tourisme mal maîtrisé a d’importants effets. Des sentiers, par exemple, sont soumis à une forte érosion… Il faudrait poursuivre la consolidation desdits sentiers, et faire en sorte de diversifier les parcours, pour que les personnes ne s’agglutinent pas toutes au même endroit. Au plus fort de la crise sanitaire, beaucoup qui ne pouvaient plus prendre l’avion, se sont rabattus sur les massifs de notre territoire, ce qui a eu pour effet d’augmenter la fréquentation de la montagne. Pour la plupart, ils venaient pour la première fois, et n’avaient pas les « codes » qu’ont ceux qui parcourent ordinairement les montagnes. On a vu plus de déchets abandonnés sur le sol, des gens se baladant avec leur chien dans les parcs nationaux… Il y a encore beaucoup de travail à faire pour éduquer les gens ! La prise de conscience des changements environnementaux que nous vivons devrait aider…

La pratique du ski est-elle menacée ?

Il faut être réaliste et ne pas oublier tous les bénéfices que les stations de ski ont apportés aux territoires de montagne depuis le boom qu’a connu cette activité dans les années 1960. La montagne doit beaucoup à cette pratique sportive en matière de fréquentation et de consommation touristique. Mais force est de constater qu’au niveau commercial, ce business s’essouffle depuis les années 2000, en particulier en raison d’une perte d’attraction auprès des nouvelles générations et du réchauffement climatique. Fabriquer de la neige de culture a un coût économique et écologique. Aussi, le ski en station, même s’il a encore de quelques beaux jours devant lui, n’est plus l’activité en plein essor qu’elle était dans les années 1980.

“Le monde de la montagne doit se questionner sur la viabilité de ce modèle du ski en station et proposer une diversification des activités”

Quel avenir voyez-vous pour les sports d’hiver ? Et de façon plus globale sur l’avenir de la montagne ?

Avec l’évolution climatique qui conduit au déclin des l’enneigement, surtout à basse altitude, le monde de la montagne doit se questionner sur la viabilité de ce modèle du ski en station et proposer une diversification des activités, de telle façon que l’on sorte peu à peu du « tout-ski » et de ces « usines à ski » que sont devenues les stations. Les acteurs y réfléchissent, et ce n’est pas un hasard que ce soit d’abord dans les stations de moyenne montagne, comme le Vercors, la Chartreuse, les Vosges ou le Jura, que se concentrent les initiatives pour proposer un autre avenir pour le tourisme d’hiver.

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L’enneigement artificiel, de plus en plus sollicité, va rendre ce sport de plus en plus coûteux, on le voit bien, en cette année 2022, avec la hausse du coût de l’énergie. La ressource en eau pour alimenter les enneigeurs pourrait atteindre ses limites, surtout dans les bassins versants trop exigus. Venir en aide aux stations avec de l’argent public n’est qu’un pis-aller, ça peut marcher quand tout est à l’arrêt à cause d’une pandémie, mais pas sur le long terme pour contrer le déclin de l’enneigement naturel.

“Il faudrait valoriser l’intersaison dans les territoires de montagne”

Il y a fort à parier que l’enneigement, déjà inégal d’une année sur l’autre, va devenir dans les années à venir, de plus en plus aléatoire. Il faut donc envisager un tourisme de plus en plus diversifié, dans lequel les activités de nature auront un rôle de plus en plus important, aussi bien en hiver qu’en été. Sans oublier la richesse patrimoniale, qui donne beaucoup de valeur à la montagne. Avec, à la clé, une rentabilité moins forte et un besoin d’étaler ces activités touristiques sur davantage de mois au cours de l’année. Cela passe par une valorisation de l’intersaison, ces mois de printemps et d’automne qui concentrent de nos jours moins de 10 % de la fréquentation et encore moins en valeur de consommations.

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Je vie une bonne partie de l’année en Vallouise, au pied du massif des Écrins, et je vois bien que du 15 septembre au 15 décembre, tout est fermé, il n’y a presque plus personne. Du coup, des structures d’accueil et les commerces sont fermés, c’est un cercle vicieux. Paradoxalement, la montagne est envahie par des résidences secondaires, mais les volets y sont clos six mois sur douze. Aussi le marché immobilier s’est-il davantage adapté à la fréquentation saisonnière qu’à l’habitation permanente, et ceux qui n’ont que des emplois saisonniers ont du mal à trouver des logements à la hauteur de leurs ressources. C’est quelque chose qu’il faudra faire évoluer dans le futur par une politique volontariste qui valorise l’habitat permanent en montagne, les infrastructures et les emplois qui vont avec.

C’est un nouvel équilibre à trouver, un beau défi à relever pour la montagne, si l’on veut qu’elle reste attractive ! / Propos recueillis par Philippe Lesaffre