Un opéra en langue arabe, des chanteurs venus des quatre coins du pourtour méditerranéen, des élèves d’un collège de banlieue de France : voici les ingrédients de ce documentaire qui adoucit les mœurs.

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Certes, les fables de La Fontaine sont un joyau de la langue française. Mais elles sont aussi héritées et inspirées d’œuvres aujourd’hui oubliées, comme les écrits du Grec Esope – qui remontent au Vème siècle avant notre ère – et ceux d’Ibn al-Muqaffa, l’un des premiers auteurs laïcs en langue arabe du VIIIème siècle. Ces écrits sont autant de vases communicants, qui prouvent qu’une identité n’est jamais que le fruit d’un mélange.

« Mélanges« 

Voici peut-être le mot clé de l’opéra Kalîla wa Dimna monté par Olivier Letellier à l’été 2016. Le mélange d’une musique composée par le Palestinien Moneim Adwan et Ibn al-Muqaffa, l’auteur arabe et traducteur du VIIIème siècle. Le mélange d’interprètes, chanteurs lyriques ou non, venus de Turquie, de Tunisie, du Maroc, d’Algérie. Tous sont connus dans leur pays, ont leur propre carrière, à l’instar de Jean Chahid, une véritable star de téléréalité au Liban.

 

Le mélange reste au cœur du documentaire réalisé par David Daurier et Jean-Marie Montangerand, qui filment le regard de collégiens de la banlieue d’Aix-en-Provence sur cet œuvre inédite ; celui-ci ne ressemble en rien à ce qu’ils ont l’habitude d’écouter. « Cet opéra est totalement étranger à leur culture, explique David. Justement, ce qui nous intéressait était de voir comment cette étrangeté devient familière. »

« Nous voulions aussi faire raisonner la beauté de la langue arabe littéraire, ajoute Jean-Marie. Leur faire découvrir l’arabe à travers des fables arabes anciennes qui ont traversé les frontières. Il y a d’ailleurs eu un gros travail de la traductrice Sonia Gharbi pour rendre la poésie arabe compréhensible par tous.

Tout au long du film, les séquences tournées en classe et sur scène se mêlent. On y découvre « qu’au fond, il n’y a pas de grande différence entre les deux univers : l’enseignant dans la classe, c’est un peu le partenaire du réalisateur de l’opéra« , estime David. « On est sur deux films en un, qui se font écho. Lors du montage, nous avons cherché à faire communiquer les scènes, à rapprocher des réalités : les conflits au Moyen-Orient et cette classe, les migrants et cet opéra« , confirme Jean-Marie.

« Un très beau regard »

Les deux jeunes hommes se connaissent depuis l’école d’audiovisuel, et ont régulièrement travaillé ensemble, notamment dans le cadre d’ateliers à l’éducation pour l’image. C’est cette expérience qui leur a inspiré l’idée de filmer une classe. « On s’est dit que le regard des enfants porté sur cet opéra serait un très beau regard. » Mais, en filmant cette rencontre de collégiens d’une banlieue d’Aix-en-Provence avec un opéra en arabe, les deux réalisateurs ont aussi eu la volonté de « filmer du vrai« , de construire leur message « avec le réel« .

Leur but : montrer qu’à l’opposé de tous les préjugés sur une jeunesse sans cervelle et une France raciste, on pouvait aussi, ici, créer des opéras en arabe et y intéresser des collégiens. « On a vraiment tenu à montrer une autre image de ces élèves. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, la caméra semblait calmer les élèves. On leur a exposé le projet, montré la caméra, le micro. On les a laissés utiliser le matériel pendant un certain temps. Très vite, on s’est fait oublier et on a pu circuler dans la classe avec la caméra, sans susciter de chahut. »

les couvertures du Zéphyr

Preuve que les mots et les images n’ont pas de frontière, le film a récemment été acheté par Al Jazeera et va être diffusé un peu partout au Moyen-Orient. En outre, l’avant-première, montrée à l’Institut du monde arabe, leur a donné l’espoir que ce film ne finirait pas dans un tiroir. Aujourd’hui, il est en projection au cinéma d’arts et d’essais parisien Saint-André-des-Arts, jusqu’au 22 juin 2018.

« On veut croire que c’est le début d’une tournée du film, même en région », espère Jean-Marie. Les deux hommes sont toujours en contact avec leurs jeunes acteurs de hasard. « Ils suivent le parcours du film. Ils nous ont même demandé quand est ce qu’on faisait le prochain avec eux. Bientôt, peut-être… » / Jacques Tiberi