Max Decugis (1882-1978) précède les « Mousquetaires » des années 20, il a souvent joué avec Suzanne Lenglen en double mixte. Grand champion, il tentera longtemps de populariser et de professionnaliser son sport.

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C’est une tradition. Souvent, le dimanche, ils se retrouvent ensemble dans l’enceinte familiale pour jouer au tennis. Une activité intergénérationnelle entre cousins, oncles et tantes à Ville-d’Avray, dans les Hauts-de-Seine, où leur ancêtre commun, Max Decugis, s’y était fait construire un terrain particulier dans son jardin. « Mon grand-oncle nous a mis le pied à l’étrier en nous transmettant sa passion », glisse l’une de ses petites-nièces, qui travaille à l’Union sportive dans la même commune. « Mais personne a atteint le niveau de jeu de Max Decugis », tient à préciser l’un de ses petits-neveux, Philippe, 39 ans.

Né en 1882, le joueur de tennis a débuté sa carrière vers 1898-1900, soit une vingtaine d’années avant le sacre des premiers Mousquetaires, qui ont remporté, à six reprises, la Coupe Davis entre 1927 et 1932. Une compétition à laquelle il avait participé en faisant partie de la première équipe de France investie en 1904 (hélas largement battue). Certes moins connu que Jean Borotra ou René Lacoste, Max Decugis n’est pas moins considéré comme le premier champion français dans son sport et brille durant les vingt premières décennies du XXe siècle. Mieux, il est reconnu, admiré et craint par ses pairs. Par exemple, l’Anglais Arthur Wallis Myers, devenu auteur après sa carrière durant les trois premières décennies du XXe siècle, évoque « un tennisman complet au jeu intelligent ».

Decugis : le premier dopé du tennis ?

Puissant malgré sa taille modeste (1,73 mètre, écrit un journaliste du New York Times), Max Decugis décroche services précis et smashs imparables avec sa petite raquette. Il sait retourner des matchs qu’il s’apprête néanmoins à perdre. Comme un jour de 1912, à Bruxelles, où il rencontre le Néo-Zélandais Anthony Wilding, considéré, à l’époque, comme le plus fort au niveau mondial. Mené 0/6, 0/6, 0/3, le Parisien parvient à égaliser au troisième set (3/3), avant que son adversaire, vexé, reprenne la main, puis obtient deux balles de match, à 40-15 (5/3).

La suite, c’est son ami Henri Cochet, autre joueur au talent inouï, qui la raconte, dans l’ouvrage Le Tennis :  « Wilding décid(e) de finir en beauté et, lui, qui ne mont(e) que très rarement au filet, s’avanç(e) à la volée sur sa première balle de service, (mais) Decugis le pass(e) par un magnifique revers, net et précis. Wilding s’énerv(e), écrit le Mousquetaire Cochet, et, sur sa deuxième balle, fait double faute. »  Résultat : le Français remporte le jeu, ainsi que le set. Tout s’inverse : Max Decugis plie le match en deux temps trois mouvements, gagne les deux derniers sets de haute volée (6/0, 6/0). « C’est un des plus beaux souvenirs de Max Decugis auquel on ne pouvait faire un plus grand plaisir, poursuit son compagnon de route, vainqueur, entre autres, de Roland Garros, que de lui demander de le raconter. »

Or, quand Max Decugis saute le pas, les années suivantes, il en lâche une bonne : au changement de côté, durant le troisième set, l’arbitre, le voyant mené 3 à 5, lui donne un petit fruit à grignoter. « Jusqu’à sa mort, Decugis jurera qu’il a compris plus tard qu’il s’agissait d’une noix de cola, confie en 2004 l’ex-juge-arbitre de Roland Garros Jacques Dorfmann. Au vu du score, on ne peut pas lui donner tort. Le pauvre Wilding n’a plus touché une balle. » Decugis serait ainsi, malgré lui, le premier cas de dopage de l’histoire du tennis…

Au-delà de cette performance maintes fois commentée, c’est surtout son palmarès qui impressionne – et qui a contribué, ainsi, à populariser le tennis, importé de Grande-Bretagne à la fin des années 1870. Durant l’avant-guerre, dans une France dépourvue de stades au niveau de la Porte d’Auteuil, à Paris (où sera construit plus tard le complexe de Roland-Garros), Max Decugis gagne un peu moins de dix fois le championnat national ainsi que de très nombreux tournois plus ou moins importants aux quatre coins du pays. Il est le premier Français à remporter un titre à l’étranger, à Hambourg en 1901, et rentre, dix ans plus tard, de Wimbledon avec le titre en double messieurs en poche.

Le joueur, inscrit au Racing-Club de Tennis de l’ouest parisien depuis ses douze ans, où il s’entraîne souvent avec des membres de sa famille, reçoit également des prix en double mixte. Outre la médaille d’or aux Jeux olympiques d’Anvers de 1920, il gagne quelques finales au championnat du monde de tennis, à Saint-Cloud, près de Paris, en compagnie de Suzanne Lenglen, avec qui il s’associe régulièrement. Des partenaires de jeu, il en a de nombreuses, à commencer par sa (première) femme Marie, la fille du peintre François Flameng, avec qui il a… bataillé lors de simples mixtes, mais aussi joué en double. En particulier, à l’occasion de la coupe des ménages, un tournoi parisien dédié aux paires « maris et femmes », – dont l’organisation prouve, au moins, l’intérêt des rencontres mixtes à cette époque.

Roland-Garros avant Roland-Garros

Le complexe sportif est sorti de terre en 1928 afin que la France puisse accueillir la finale de la Coupe Davis, remportée, pour la première fois, par les joueurs français l’an passé face aux Américains (à Philadelphie). L’idée, également : faire jouer les matchs du championnat national – remporté, cette année-là, par le « crocodile » René Lacoste. Ce tournoi, né en 1891 pour les hommes (et 1897 pour les femmes), ne regroupait d’abord que des joueurs français ou des étrangers, licenciés dans des clubs hexagonaux (le premier vainqueur était justement d’origine… britannique).

La compétition, qui se jouait au départ en région parisienne (dans les antres du Stade français et du Racing-Club de France), prit le nom d’Internationaux de France en 1925 en s’ouvrant aux joueurs d’horizons diverses. Entre 1912 et 1924, un championnat du monde sur terre battue, ouvert à tous les sportifs, était aussi organisé à Saint-Cloud, il devait, lui, concurrencer Wimbledon.

Bien plus tard, dans une conversation, à laquelle a assisté le journaliste italien Gianni Clerici, l’ex-joueur Antoine « Coco » Gentien et Max Decugis citent les joueurs qui ont compté pour eux durant leur enfance. Quand le premier évoque notamment le Britannique Briggs, premier champion de France en 1891, le second pense à… un couple : « N’oublie pas les Masson. Nadine (ou Françoise, dit « Adine », ndlr) gagnait tous les tournois à handicap et son mari Willie organisa le premier championnat open de France sur court couvert au Tennis-Club de Paris en 1895. »

En 1913, Max Decugis s’exprime sur la complémentarité entre femmes et hommes : « Certains joueurs ne prennent pas le mixte au sérieux. Ils le considèrent encore comme une partie de flirt ou comme une sorte de récréation pour se changer les idées après les fatigues d’un simple pénible… Ceux qui se sont fait une spécialité des mixtes savent l’intérêt que procurent les innombrables variétés qu’on y trouve. »

Et de poursuivre, sur le tennis féminin : « Un joueur pourra y déployer son activité physique et morale autant en simple qu’en double. Avec une partenaire au fond du jeu, il a l’avantage de récolter tous les jolis coups à faire. Le rôle de la femme consiste donc à fournir à son partenaire des occasions de se montrer plus adroit que l’autre homme, et ensuite à l’admirer. »

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Pour un flirt…

Un propos d’un homme de son temps, qui fait sourire son petit-neveu, Philippe Omer-Decugis : « « Pas une partie de flirt », disait-il… Max Decugis aimait beaucoup les femmes ; dans ma famille, on pense même qu’il a pu être l’amant de Suzanne Lenglen et qu’il a eu de nombreuses compagnes dans le milieu. » Les cheveux gominés, les yeux encre de Chine, le bonhomme a pu plaire, alors ? L’homme âgé de 39 ans parle de son aïeul comme d’« un épicurien ». Selon lui, ce dernier « profitait de la vie » et ne s’entraînait pas forcément tous les jours, conseillant, au passage,  de… boire du champagne entre deux jeux.

Dans L’amour du tennisPatrice Dominguez écrit que Max n’est pas avare de bons mots. L’ancien joueur devenu journaliste prend un exemple. Il reprend une petite conversation entre Max Decugis et Lew Hoad, vainqueur de Roland-Garros en 1956. Ce dernier lui demande pourquoi il s’est arrêté à neuf titres importants en simple. Réplique du principal intéressé : « Mais tout simplement parce que de 1915 à 1919, à cause d’un « certain événement », il n’y a pas eu de tournoi. Et après, en 1920, c’était trop tard pour moi… » Pour cette compétition-là, peut-être, mais il continuera, néanmoins, en cette décennie, à gagner des coupes.

C’est que Max Decugis n’a jamais vu le tennis comme un simple passe-temps, écrit Patrice Dominguez, aujourd’hui décédé. Le tennis a toujours fait partie de sa vie ; il a toujours pris les choses très au sérieux. Preuve en est, la joie qu’il éprouve à revenir à Wimbledon, cinquante ans après sa victoire en double avec André Gobert. En 1961, il y est invité à l’occasion des 75 ans de la naissance du tournoi majeur. Ce qui lui permet de « revivre des jours heureux », précise alors l’ex-champion… d’Angleterre junior – en 1896 et 1897 à 14 et 15 ans. Avant de rendre hommage à d’anciens compagnons de route : « Je pense à la longue liste de mes adversaires disparus, cela me laisse ainsi presque seul dans le passé. »

« Rapidement après le début de sa carrière, souligne Philippe Decugis, il commence à gagner sa vie grâce à sa discipline. » Enfin, indirectement, puisqu’à l’époque, un tournoi ne rapporte rien. Max Decugis joue parfois à l’arbitre, donne des cours à des princes au sang royal à différents endroits du monde, enseigne le tennis à certains militaires, et, bon formateur qu’il est, conseille les adeptes de tennis. Dans l’ouvrage Tennis, hockey, paumes, balles et boules, il donne certaines recommandations.

Et d’abord sur l’accoutrement, lui qui joue, comme les autres, tout de blanc vêtu – et jamais sans son éternel cardigan ivoire. Concernant la chemise, par exemple, il invite chacun à en prendre une assez large pour « ne pas gêner le mouvement des bras ». D’après lui, en outre, « la ceinture (doit être) en caoutchouc pour faciliter la respiration et les points de côtés ». Conseil N°3, enfin : ne pas oublier « les chaussettes blanches, épaisses et… en laine ».

Ses recommandations concernent aussi la technique : le lointain prédécesseur de Yannick Noah (Max Decugis est capitaine des Bleus entre 1925 et 1927) revendique d’ailleurs la paternité de la théorie de l’attaque au centre (que d’autres attribuent à son ami Henri Cochet). En tout cas, c’est ce qu’écrit le journaliste italien Gianni Clerici. Lui précise qu’il s’agissait en réalité d’une suggestion… que lui avait glissée un tennisman étranger, avant une rencontre importante : « Joue une balle longue au centre et monte au filet », lui glisse son compagnon. Curieux, Max Decugis, poursuit l’auteur italien, « essaye, gagne et, comme en remerciement envers son conseiller, traduit en français The modern lawn tennis, un des chefs d’œuvre sur la technique. » 

Confirmation de Philippe Decugis avec le sourire : « Il a toujours dit qu’il avait inventé le fameux service-volée. » Concerné, Max Decugis, en outre, dévoile, en particulier, comment il convient de tenir la raquette dans le premier journal sportif entièrement dédié à son sport, Tennis (paru entre 1910 et 1913, le titre devient juste avant la guerre Tennis & Golf). Le joueur, comme d’autres de sa génération, en assure la rédaction et commente l’actualité tennistique. Une manière, aussi, de s’adresser aux amoureux de la petite balle jaune, de contribuer au développement d’un sport qui se professionnalise lentement.

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L’art d’irriter les autorités

Max Decugis, lui-même, tente de professionnaliser ce sport, provoquant ainsi la colère de l’ancêtre de la FFT, l’Union des sociétés françaises de sports athlétiques (Usfsa), une structure omnisports qui prône l’amateurisme. La sanction tombe. Le patron de la branche « tennis » de l’Usfsa le suspend pendant plusieurs mois vers 1910… Gianni Clerici écrit les raisons du courroux : « Les champions de cette époque étaient des gentilshommes capables de voyager à leurs frais, d’avoir un cours personnel dans leur jardin. Les victoires en tournoi étaient d’habitude récompensées symboliquement par des coupes (…) ou par des objets souvenirs. Agacé d’accumuler chez lui porte-cigarettes en argent et vases en cristal, Max Decugis proposa que l’on substitue des bons aux prix et, bien qu’il l’ait toujours nié, il arriva, un coupon après l’autre, à acheter un automobile. »

Ce qui irrite donc les autorités de son sport, mais qui n’étonne pas son petit-neveu : « Je ne connaissais pas l’épisode de la voiture, mais ce genre de « trocs » ne m’étonne pas. Dans la famille, il ne reste quasiment plus de coupes de Max Decugis. » Philippe, son petit-neveu, précise : « Le sportif les aurait vendues… pour pouvoir survivre. »

Et d’ajouter que son grand-oncle aurait travaillé, à la fin de sa vie, en tant que fleuriste pour subvenir à ses besoins. Mais il n’a pas « bossé » qu’à la fin de sa vie. D’après la Fédération française de tennis, il aurait été maroquinier pendant un temps. Max Decugis, dont la famille de sa première femme vivait au fin fond des Yvelines, à Septeuil, aurait géré également une porcherie dans cette commune dans un moulin aujourd’hui désaffecté. Polyvalent, le garçon. / Philippe Lesaffre