Claudia Rosteing et Stefan Rappo sont deux photographes passionnés par l’esthétique du corps. Un couple d’artistes, pour qui tout est affaire de sensibilité(s).
Le duo Claudia Rosteing et Stefan Rappo s’affranchit des codes et décline la thématique du corps au travers de portraits, de nus et de jeux de lumières. Interview croisée.
Le Zéphyr : Selon vous, à quel moment sort-on du seul rôle de photographe pour créer un contact et pénétrer plus ou moins profondément dans l’intimité de son modèle ?
Claudia Rosteing et Stefan Rappo : Je franchis la frontière de l’intime constamment. Il faut un minimum d’intimité pour prendre une belle photo. Je n’aime pas qu’une relation artificielle s’installe entre moi et mon modèle. Si je dois avoir en face de moi une personne fausse qui calcule le moindre détail de son apparence, il ne sert à rien de continuer. Je préfère une personne qui me donne sa présence, ses défauts, ses qualités, ses blessures et ses vérités. Je recherche le charisme chez mes modèles. Pas forcément la perfection physique, même si ce n’est pas désagréable d’allier ces deux aspects. Je cherche une personne qui n’a rien à prouver, une personne qui est en accord avec elle-même, une personne curieuse de la vie.
Stefan : C’est une question très difficile, surtout parce que la limite est très souple. Je dirais que dans mes séries cinématographiques, je ne franchis jamais la barrière. Les modèles dans ces séries sont comme des acteurs qui jouent un rôle. Ce sont des histoires ou des scènes inventées par moi. Donc peut-on franchir la barrière avec ce genre de photographie ? Si de mon point de vue la réponse est non, je suis sûr que certains modèles donneront une autre réponse. Quand ils donnent un côté personnel et se dévoilent, leur point de vue est complètement différent. Ça serait peut-être intéressant de leur poser cette question. Pour les nus, c’est sûrement différent. Non pas parce que ce sont des nus, mais parce que j’ai plus l’impression de photographier la personne et non pas un personnage que est joué par cette personne.
La société hyper-médiatique dans laquelle nous évoluons renvoie sans cesse l’image d’un corps aux mensurations parfaites, une sorte d’homme ou de femme de Vitruve 2.0. Où placez-vous l’esthétique et les modèles de beauté dans vos travaux ?
Claudia : Partout ! Il y a deux choses à prendre en compte. L’esthétique est une science. Celle du beau. La perception de cette beauté dans l’art résulte, quant à elle, d’un ensemble de codes conventionnels et structurés. Je n’aime pas la « perfection » car elle n’existe tout simplement pas. La beauté d’un modèle s’exprime au travers ses sentiments, sa force de caractère, sa personnalité et sa capacité à transmettre des choses universelles. Le temps et les modes importent peu. Nous nous lassons vite des normes de beauté. Elles évoluent vite. Mais dans la relative imperfection, il y a des choses qui s’éveillent et nous rappellent ce dont nous sommes faits. Des choses qui font face à notre propre ressenti, notre propre imperfection. L’imperfection est belle car elle nous renvoie à la nature de notre existence.
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Stefan : L’idée n’est pas de fustiger l’omniprésence de la pression sociale. L’idée de départ de la série Room 42 était de simplement montrer qu’on peut faire des très belles photos avec des gens au physique un peu atypique, sans tomber dans le spectaculaire, ou faire un freak show. Les gens que j’ai photographiés pour ce projet, je les trouve tout simplement beaux voire magnifiques. Je comprends aussi qu’il y a des interrogations sur mes mélanges entre les filles nues souvent aux corps sublimes que je photographie, et justement les gens pour mes autres projets qui semblent si différents. Pour moi, ils ne sont pas si différents, car encore une fois, les deux rentrent dans mes critères de mon “idéal” comme sujet photographique. Après j’aimerais préciser que je ne suis pas du tout un militant. Je suis pour la liberté des gens, et ma liberté à moi. Donc, quand je fais ce genre de projet, je le fais, car j’ai vraiment envie, et ça me parle.
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Le succès de modèles « atypiques » comme Winnie Harlow, Madeline Stuart ou Moffy est-il le signe d’une évolution du milieu selon vous ou simplement un « effet de mode » temporaire ?
Claudia : Il y a le beau et l’imperfection. La mode a besoin de mourir et de renaître perpétuellement. La création réside dans ce changement permanent. Les remises en cause, les perturbations, c’est la vie. Il y aura toujours du beau dans le monde de la mode. Mais c’est une industrie où il faut acheter, vendre, renouveler les gammes, avancer, reculer, choquer pour mieux vendre, rester conventionnel. Sans marketing, la mode s’effondrerait. Tout est impermanent, imparfait et incomplet. Nous sommes ici pour une durée limitée et aucun mortel n’est totalement « achevé ». A mon avis, si ces modèles sont durablement acceptés par la société et le public, rien ne devrait entraver leur carrière.
Stefan : Pour moi, c’est juste un effet de mode. Le marques veulent profiter de cette tendance pour avoir un maximum de com’ et de marketing. Sinon, on n’aura sûrement pas besoin que l’État intervienne pour bannir les modèles trop maigres des défilés, non ?
Des projets à venir ?
Claudia : Oui, vivre et offrir humblement la vision de mon monde, et de mon univers avec la photo, et, qui sait, mes futurs… courts-métrages.
Stefan : J’ai pas mal de projets en tête, mais avec mon emploi de temps comme assistant c’est difficile de planifier des gros projets. Donc, il faudra voir un peu plus tard.
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Dernière question : pour quel modèle pourriez-vous tout plaquer à l’instant, traverser le monde et faire une séance photo ?
Claudia : il y a plusieurs personnes… une inconnue, Tilda Swinton, Angelina Jolie. Chez les hommes, Matthew Mcconaughey qui me fascine part son charisme.
Stefan : Pour le moment je n’ai pas envie de tout plaquer… mais si vous me proposez une séance photo avec le pape François, je pars. / Jérémy Felkowski (photos : Claudia Rosteing et Stefan Rappo)