De plus en plus d’armées dans le monde pilotent des drones armés pour la surveillance, voire la liquidation d’ennemis ciblés. Panpi Etcheverry, auteur du livre Cyberguerre et drones, l’annonce de la guerre de demain, à paraître en 2018 chez Economica, revient, avec nous, sur les transformations en cours chez les militaires. Et s’interroge : les humains laisseront-ils bientôt des robots tueurs survoler les théâtres de guerre ?

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Fonctionnaire du ministère de l’Intérieur, Panpi Etcheverry maîtrise les questions de sécurité et surtout de cyberdéfense…. L’ancien étudiant à l’Institut de Relations internationales et stratégiques à Paris et du master Relations internationales et politiques de sécurité de l’Université Toulouse-I Capitole analyse comment les armées évoluent avec les nouvelles technologies. Comment elles ont commencé à utiliser les drones, ces ordinateurs volants servant à récupérer des informations sur l’ennemi et à l’attaquer. On l’a questionné sur ces transformations numériques.

Le Zéphyr : Tu es sur le point d’écrire un livre sur les drones. Quel est le but ?

Panpi Etcheverry : Le but c’est d’essayer de vulgariser l’impact des nouvelles technologies sur les questions stratégiques et de sécurité en partant de la cyberdéfense et des drones et en arrivant, à la fin du livre, sur le transhumanisme et la guerre. Un chapitre introspectif dans lequel je m’interroge sur la guerre de demain au vu de ce qu’on observe aujourd’hui.

Tu as intégré une histoire des drones militaires ?

Tout à fait. Je me concentre sur l’histoire immédiate (celle qui date de moins de 15 ans). Je décris, dans l’ouvrage, la politique américaine en ce qui concerne les questions de sécurité, pays dont l’armée a largement fait usage des drones armées pour lutter contre le terrorisme. Cette analyse de l’évolution de l’usage des drones armés par les États-Unis commence avec la première frappe de drone répertorié en 2002 au Yémen par les États-Unis.

Qu’est-ce qui a poussé les Américains à armer les drones ?

En 2000, un drone Predator non armé avait repéré des hauts responsables d’Al-Qaïda, dont Ben Laden, mais comme le drone n’était pas en mesure de frapper, le temps qu’il communique les coordonnées pour un tir de missiles de croisière, la cible avait pu se déplacer ou disparaître. Bref, ils ont perdu Ben Laden. C’est probablement partant de ce constat-là que l’administration Bush a décidé d’armer les drones, et les Predator furent armés dès l’opération Enduring Freedom en octobre 2001 en Afghanistan. Les frappes de drones n’étaient pas systématiques à l’époque, mais elles ont augmenté d’année en année pour atteindre un pic en 2010.

C’est sous Obama que l’usage des drones armés a littéralement explosé, notamment au Pakistan et au Yémen. Au début des années 2000, il y avait les Predator, puis les Américains sont passés à un autre type de drone développé par la firme General Atomic : le MQ-9 Reapper, version améliorée du Predator, et capable de transporter davantage de charge utile (armement). Il a été décidé d’augmenter les frappes de drones pour atrophier les réseaux terroristes, notamment Al-Qaïda en éliminant les commandants, mais également dans un contexte où l’envoi de troupes au sol, après les expériences afghanes et irakiennes, était devenu éminemment impopulaire.

Et l’évolution a été identique dans le monde ?

Oui, depuis les années 2010, il y a à la fois une prolifération de l’armement des drones et des drones eux-mêmes. Aujourd’hui, dix pays auraient des drones armés, et une dizaine d’autres pays chercheraient à s’en procurer. Israël et les États-Unis sont les deux premiers pays à avoir fait usage de drones armés, et ce sont également les deux principaux exportateurs de systèmes de drones dans le monde. Il y a également la Grande-Bretagne, l’Arabie Saoudite, l’Irak qui a été fourni par les États-Unis, les Émirats Arabes Unis, le Nigeria et la Turquie.

L’Italie comme la France s’est procuré des drones américains Reaper, qui ont reçu l’autorisation d’être armés en 2015. En septembre 2017, l’Hexagone a décidé d’armer ses drones après de longs débats au sein du ministère des Armées. Cette décision devrait être effective dès 2019. L’opérateur sera au plus proche du drone, pas sur le territoire français, mais au Sahel, par exemple.

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À quoi servent-ils ?

Les drones sont en général utilisés pour des missions de reconnaissance, de surveillance et/ou de renseignement, ou de coordination entre différentes composantes des armées (forces spéciales au sol, base de commandement, chasseurs etc.) Ils se sont avérés un instrument très pratique pour les assassinats ciblés pour les États-Unis notamment. On observe deux usages. Soit, les drones servent à éliminer une cible identifiée, un commandant terroriste, par exemple. Il s’agit de ce que les Américains ont appelé les personality strikes.

Et il y a aussi les signature strikes. Ces dernières sont plus contestables sur le plan juridique car il s’agit de frapper une ou un groupe de personnes en se basant sur des pattern et des datas (des schémas et des données), sans forcément connaître l’identité des personnes visées. Par exemple, un individu peut être visé du fait de son activité, de sa localisation, des données de son téléphone portable.

Quelle est la valeur ajoutée du drone ?

Un drone permet de surveiller des dizaines d’heures sur des zones très larges, discrètement. De recueillir des renseignements, puis de cibler au sol pour communiquer l’information à des chasseurs. Cela permet de ralentir le temps entre l’observation, l’analyse, la décision et l’exécution. Le drone peut être une sorte de nœud informationnel, centralisant et redistribuant aux différents acteurs d’une opération, les données qu’il recueille. Le drone armé n’est pas un robot tueur, il est un système d’arme inhabité, piloté à distance par l’Homme.

Justement, à quelles évolutions peut-on s’attendre ?

Il faut savoir que, depuis 2011, le nombre d’opérateurs de drones est plus important que le nombre de pilotes de chasse dans l’armée américaine. À l’échelle mondiale, la prolifération va se poursuivre, je pense : de plus en plus d’acteurs vont s’en servir. Les États, mais aussi les groupes armés terroristes et les guérillas vont chercher à fabriquer et à se servir de tout type de drone à des fins militaires et pour la surveillance. L’État islamique avait d’ailleurs une unité spécialement dédiée à la recherche et au développement de drones.

Il y a un risque que la pratique des États-Unis consistant à faire des frappes dans des pays avec lesquels ils ne sont pas officiellement en guerre, ne progresse dans les années à venir, dans un contexte de tensions croissantes en Europe orientale, en mer de Chine, ou au Moyen-Orient. Cela pourrait provoquer un facteur supplémentaire d’instabilité dans les relations internationales. L’utilisation des drones à des fins militaires n’en est qu’à ses débuts.

Et verra-t-on des robots tueurs ?

Dans mon livre, j’écris que l’on va vers une automatisation et une autonomisation croissante des armements. Les drones sont selon moi les premiers avatars des sala, les systèmes d’armes létaux autonomes. Ce sera bientôt technologiquement à la portée de plusieurs armées dans le monde. Il y a déjà une automatisation des fonctions : il existe des drones qui peuvent atterrir et décoller sans intervention humaine. La vraie question, c’est celle de la décision : est-ce qu’il y aura des robots qui auront cette capacité de décider d’ouvrir le feu ?

Est-ce que cela va devenir quelque chose de possible, d’acceptable et d’envisageable ? Je renvoie vers un ouvrage paru en février 2018 de Brice Erbland, un commandant de l’armée de terre qui parle des robots tueurs potentiels mieux que moi. /Propos recueillis par Philippe Lesaffre

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AGENDA

Panpi Etcheverry et Caroline Brandao, responsable de la diffusion du droit international humanitaire (DIH) à la Croix-Rouge française, ont participé au débat Drones de guerre : les frontières au défi de la cyberguerre au Château de Vincennes (salle des Cartes), près de Paris, le 29 mars 2018.
Télécommandées, les armes modernes comme les drones imposent une distorsion de l’espace et du temps. Ces ordinateurs volants, parfois armés, se comptent aujourd’hui par dizaines de milliers : ils font voler en éclat les notions même de frontières (juridiques, éthiques, politiques et sécuritaires). La systématisation de l’usage des drones est-elle une réponse à une guerre qui change avec le terrorisme ou bien le symptôme d’un nouveau rapport au combat qui refuse tout engagement physique en éloignant l’humain des opérations ? À quel prix ?
Un événement du Mouton Numérique, en partenariat avec le ministère des Armées, France Culture Conférences, Socialter, La Monade Sagace et Le Zéphyr.

Le Mouton Numérique, notre partenaire, éclaire la société qui innove, en ouvrant un espace de dialogue entre penseurs et faiseurs du numérique.