En 1793, Jean-Baptiste Belley, ancien esclave de Saint-Domingue, alors possession française, est élu député de son territoire. Il part siéger, avec deux autres représentants, à Paris, à la Convention. Avant d’assister à la première abolition de l’esclavage, en 1794. Mais on l’a totalement abandonné.
MAJ 19/3/2021 : Emmanuel Macron avait estimé qu’il était temps de renouveler certains noms de rues en France. Des historiens comme Pascal Blanchard ont réfléchi à des personnalités (« issues de la diversité », comme on dit) qu’on pourraient valoriser sur notre territoire. Ils ont remis un rapport en ce sens il y a peu. Parmi les 318 noms, celui du député (oublié) Jean-Baptiste Belley.
En 2019, les députés insoumis envoient au président de l’Assemblée une missive. L’objet du courrier : Alexis Corbière, ex-prof de lettres et d’histoire-géographie en lycée professionnel, entouré de ses acolytes, demande au président de l’Assemblée nationale Richard Ferrand d’accueillir au sein de la Chambre basse le tableau daté de 1797 du peintre Anne-Louis Girodet, actuellement à Versailles (voir ci-dessous).
Celui-ci représente Jean-Baptiste Belley, considéré comme le premier député noir au temps de la République, durant la Convention, et ceint d’une écharpe tricolore. Le député de Seine-Saint-Denis demandera plus tard, en 2020, que le Parlement baptise une salle en son nom. Toujours en vain, pour le moment.
Alexis Corbière, après lui avoir consacré quelques lignes dans son livre Jacobins ! glisse au média Le vent se lève, en 2019, qu’il « aime ce personnage ». « Quelle vie extraordinaire (Belley) a eu », ajoute-t-il. Pourtant, l’esclave affranchi devenu représentant de Saint-Domingue (ex-Haïti) en pleine Révolution française a fini par être assigné à résidence à Belle-Île-en-mer, peu après que Napoléon est revenu sur la traite des Noirs. Jean-Baptiste Belley, qui a survécu à son fils, décédera seul et sans le sou (son demi-frère n’héritera que de quelques affaires).
Né en Afrique ou à Saint-Domingue ?
Cet ancien député est tombé dans l’oubli. D’ailleurs, à son nom, L’Humanité n’a compté qu’une seule rue, à Basse-Terre en Guadeloupe, ainsi qu’une place à Pantin, en région parisienne, inaugurée en 2017 en compagnie d’Elisabeth Guigou, alors députée de Seine-Saint-Denis.
On sait peu de choses de sa vie. Des mystères demeurent d’abord sur son lieu (et sa date) de naissance. Il a déclaré, en arrivant à la Convention, provenir d’Afrique. Et plus exactement de l’île de Gorée sur la baie de Dakar, au Sénégal, où la traite des esclaves a longtemps été la règle (document à découvrir). Néanmoins, il est indiqué dans son acte de décès, rédigé au lendemain de sa mort en Bretagne, le 7 août 1805, que Jean-Baptiste Belley a été natif de… Léogane, sur l’île de Saint-Domingue, aujourd’hui Haïti. Selon l’historien Jean-Louis Donnadieu, auteur de l’article « Derrière le portrait, l’homme : Jean-Baptiste Belley, dit Timbaze, dit Mars », paru en 2015 dans le Bulletin de la Société d’histoire de la Guadeloupe, il n’y a pas de doute.
Les affranchis prennent des noms européens souvent
« Jusqu’à preuve du contraire, j’ai tendance à penser que Belley était créole de Léogane, nom qu’entendent ses gardiens au moment de son incarcération ; dans un décor de murs froids et humides, sans public ni relais d’opinion, il n’y a plus d’effet politique à rechercher, ou de personnage à jouer. »
On ignore également quand il est devenu esclave, et qui l’a possédé. « Il a tout lieu de croire, estime Jean-Louis Donadieu, qu’il s’appelait Belley (ou Belay, Beley, Belet… – les graphies pouvant varier à l’époque). Les esclaves affranchis ont l’habitude fréquente de prendre un nom européen. » On ne sait pas non plus dans quelles conditions il a été affranchi (et à quel moment). Invité au Conseil général de la commune de Paris le 11 février 1794, il aurait déclaré, d’après Thomas Madiou, auteur d’une importante Histoire d’Haïti (au 19e siècle), qu’il est « devenu libre par (son) industrie ». C’est à dire, grâce au fruit de son travail. Difficile de vérifier cette version des faits.
En revanche, on sait qu’il a été un temps perruquier et qu’il a lui-même eu, avant l’abolition, des… esclaves (des « propriétés pensantes », comme il l’écrit, en 1795). Au moins deux femmes, selon Jean-Louis Donadieu.
Chasseur volontaire au secours des colons américains
On sait également qu’il a pris les armes pour défendre, aux côtés des Français sur les terres américaines, les colons insurgés face aux Anglais. C’est ce que racontera l’historien Clément Lanier, dans un article paru en 1933 dans le média de Port-au-Prince Le Temps (aujourd’hui journal disparu). On y apprend qu’en 1779 Jean-Baptiste Belley, la trentaine, fait partie du groupe des « Chasseurs volontaires » de Saint-Domingue, un corps composé de colons français des Antilles, entourés de 800 fusiliers indigènes « libres », noirs et mulâtres (ou, comme on disait, « de couleur »).
Sous le commandement de Charles-Henri d’Estaing, ex-gouverneur de Saint-Domingue, promu amiral de France, ces hommes quittent les Antilles et débarquent le 8 septembre 1779 en Géorgie, dans la ville de Savannah. Lieu d’une bataille qui sera remportée par les hommes de la couronne britannique. Comme d’autres, le futur député de Saint-Domingue aurait été blessé au cours des combats, a rapporté Clément Lanier, dans son papier.
Belley, qu’on surnomme « Timbaze » (sans qu’on sache vraiment pourquoi) va être promu « officier subalterne des nègres libres du Cap » (il s’agit aujourd’hui de la ville de Cap-Haïtien), soit lieutenant ou sous-lieutenant. On l’appellera aussi « Mars », peut-être en reconnaissance d’une certaine bravoure guerrière. En 2007, sur le square Franklin de la ville de Savannah, sur la côte Est des Etats-Unis, sera inauguré un monument pour rendre hommage aux combattants de Saint-Domingue ayant participé à « la révolution américaine » (qui a abouti à l’indépendance du pays). Et son patronyme figure sur le socle sur lequel se trouve six statuts de bronze (comme on le voit là).
Révolution à Saint-Domingue
Quelques années plus tard, à l’été 1791, une insurrection éclate à Saint-Domingue et des esclaves se rebellent contre les colons. Réclamant l’égalité des droits, ils prennent les armes, et, selon des représentants français de Saint-Domingue, cités par Retronews, ils détruisent des plantations de café et de canne à sucre et « égorgent » des « Blancs ». Paris envoie des commissaires civils, dont Sonthonax, ainsi que des milliers d’hommes, pour rétablir l’ordre français.
Au départ, « ils viennent pour faire appliquer le décret faisant des personnes de couleur libres des citoyens à part entière, mais ils ne viennent pas abolir l’esclavage », précise au Zéphyr l’historien Jean-Charles Benzaken. Or, la situation, sur place, se tend rapidement, et les représentants de la République, doivent faire face à la colère de marins et de colons esclavagistes, prêts à en découdre. Le général Galbaud, devenu le gouverneur général de Saint-Domingue, prend la tête d’une insurrection au Cap. Les commissaires n’ont pour se défendre – comme le rapporte François Blancpain dans son livre La colonie française de Saint-Domingue : de l’esclavage à l’indépendance – que « quelques hommes de couleur libres armés, commandés par Belley ».
L’affranchissement en échange de la protection, propose Sonthonax
Alors que faire ? Les commissaires demandent assistance auprès d’esclaves révoltés, et leur promettent, au final, la liberté contre leur protection. Jean-Charles Benzaken nous raconte qu’ils « n’avaient pas le choix », eux qui souhaitaient envoyer quelques représentants de ce territoire français à la Convention. Mais qui ? Belley, notamment, est vite approché. « C’est le bon candidat, il est droit et a toujours défendu l’autorité républicaine et les institutions françaises. Il n’est pas tout jeune, il a gravi de nombreux échelons militaires et il est solidaire de ce qui s’est fait. »
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Ainsi, le 23 septembre 1793 au Cap, le citoyen est élu et propulsé député aux côtés de cinq autres personnes de la partie nord de l’île (sans compter trois suppléants).
Rapidement, Jean-Baptiste Belley, avec le colon blanc Louis-Pierre Dufay et le métis libre Jean-Baptiste Mills, quittent Saint-Domingue pour rejoindre Paris et annoncer l’abolition de l’esclavage. Les autres doivent rester sur place, dans un premier temps. Comme le raconte, dans les Annales historiques de la Révolution française, Mathieu Carlot, le voyage de ces trois députés sera périlleux.
Abolition de l’esclavage
Ils embarquent pour Philadelphie. Sont pris à partie par des colons esclavagistes et des matelots, qui parviennent à monter à bord de leur navire. Ils les insultent, leur volent des papiers, de l’argent et quelques affaires personnelles. Grâce à l’aide des représentants de Français, Belley, son fils et ses acolytes élus arrivent à filer vers New York, avant de rejoindre l’Europe et Lorient en janvier 1794, sains et saufs. Bientôt, comme l’écrira l’historienne Florence Gauthier, ils arrivent à Paris et se rendent au Comité de sûreté générale (chargée de la sûreté de l’Etat).
Ils siégeront à partir du 3 février 1794 (15 pluviôse an II) et verront, le 4 février, au lendemain de leur arrivée, l’adoption du décret d’abolition de l’esclavage. Or, Belley, membre de la « délégation tricolore » avec Mills et Dufay, comme ils disaient, n’a pas eu une vie parlementaire active. « On ne connaît guère de lui que deux interventions à la tribune après la chute de Robespierre, développe Jean-Louis Donnadieu, dont une, pour dénoncer le lobby des colons esclavagistes. Pas beaucoup pour un symbole.
Retour sur le terrain, à Saint-Domingue
Mais il ne restera pas longtemps député. En 1997, il abandonne son poste de parlementaire (il a été au Conseil des Cinq-Cents, après avoir siégé à la Convention). Et il prend le commandement le corps de gendarmerie de Saint-Domingue. « Il n’a pas fait d’étude et n’avait pas la prestance des autres », précise Jean-Charles Benzaken, auteur d’une biographie de Dufay, autre élu de Saint-Domingue. « Je ne sais pas m’exprimer avec éloquence », écrira d’ailleurs Belley, un jour.
Oui, Belley préfère le terrain. L’ancien esclave fera partie de l’expédition du général Leclerc (le beau-frère de Bonaparte), chargée en 1802 par le futur empereur des Français de remettre de l’ordre et de se débarrasser de Toussaint Louverture, un affranchi, qui a pris le commandement des révoltés sur les terres de Saint-Domingue. « « Mars » est un serviteur loyal de la France, explique le biographe de Dufay, et il a voulu maintenir la colonie sous la main de la France. » Un serviteur loyal, certes, qui a cependant fini par… chuter, et on ignore pourquoi.
Mis à l’index et abandonné par l’Etat
Toujours est-il que Leclerc perd confiance en lui. « Comme d’autres officiers, y compris blancs, il est renvoyé en France et mis à l’index », raconte Benzaken. C’est le système napoléonien, d’après l’historien : « On ne liquide pas les gens, mais on les met ailleurs, en semi-liberté, en les contrôlant. »
Mis en retraite forcé, il est assigné à résidence en Bretagne, à Belle-Île-en-Mer. Il n’est plus tout jeune et tombe souvent malade. Belley, dont on ne connaît pas de femme, ignore le motif de son enfermement. Il s’en plaint d’ailleurs dans une lettre adressée en 1794 au préfet du Morbihan dans laquelle il réclame sa libération. Elle n’arrivera jamais et lui ne saura jamais pourquoi il a été placé sous surveillance. Il mourra le 5 août 1805, sans avoir reçu de réponse de la part de l’Etat. Seul et abandonné. / Philippe Lesaffre