La joueuse de tennis a brillé, mais loin des légendes et du top 200. Julie Gervais, encore 17e meilleure française, a mis fin à sa carrière en début d’été. Elle replonge dans ses souvenirs, fière de ce qu’elle a accompli, sans moyens, sans coach.

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En 2019, Julie Gervais avait imaginé mettre un terme à sa carrière à la fin de la saison, au crépuscule de l’été. Mais le coronavirus a tout accéléré et l’a éloignée des courts plus tôt que prévu. Sans tournoi, sans revenu, elle a pris les devants. Cela a été un peu frustrant de tout arrêter en raison de l’épidémie, mais il a bien fallu, nous dit-elle, penser à son avenir : « C’était bien de voyager, mais j’avais envie de me poser et gagner enfin ma vie. »

À 29 ans, une nouvelle aventure vient de démarrer, non loin de ses Ardennes natales, où elle logeait chez ses parents. Après les tournois de tennis aux quatre coins du globe, elle a posé en cette rentrée ses valises dans le Nord dans le but de transmettre son expérience aux plus jeunes. Un nouveau chapitre qu’elle est ravie d’entamer dans son club La raquette de Villeneuve-d’Ascq.

« J’ai fait le bon choix en relançant ma carrière pro »

Le tennis, qu’elle a commencé à quatre ans, l’a emmenée loin. Loin de chez elle, mais surtout au bout de ses limites. « Je suis très contente de ce que j’ai accompli pendant ces quatre dernières années. J’ai pris de nombreux risques, mais cela a payé. J’ai voulu me relancer et c’était le bon choix », sourit-elle, le regard plongé dans ses souvenirs, si nombreux.

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« C’est une expérience de vie incroyable, j’ai eu tant de la chance… » Et même si Julie n’a pas participé aux plus grands tournois, organisés par la WTA, l’asso des joueuses professionnelles. N’ayant pu intégrer les qualifications des grands chelems, elle n’a eu le plaisir de tenter sa chance du côté de la Porte d’Auteuil. « À Roland-Garros, forcément, les plus fortes s’inscrivent, alors il faut environ être parmi les 200 premières », explique-t-elle.

Mais la joueuse aux trois tournois remportés (1) sur le circuit ITF (2), la « deuxième division » après les tournois WTA, s’est hissée à la 374e place du classement WTA, en novembre 2019. Ce qui fait d’elle la 17e meilleure joueuse française. Le tout, sans moyens et sans coach, à mille lieues des paillettes et du top 100 du circuit.

1 : Stockholm 15 000 $ en 2019, Héraklion 10 000 $ et Stockholm 10 000 $

2 : Organisé par la fédération internationale de tennis (ITF)

« J’ai eu toutes les blessures inimaginables »

Julie a trouvé seule les moyens d’y parvenir après avoir mis entre parenthèses une première fois sa carrière pour passer le diplôme de coach et travailler (dans le nord) entre 2012 et 2014. « Je n’y arrivais pas, j’avais du mal à dépasser les quarts de finale, restais bloquée en-dessous de la 800e place. » Et, pire que tout, son corps l’a souvent lâchée. La hantise de tout sportif. « J’ai eu tous les pépins inimaginables. Par exemple, un jour en Suède, j’ai eu le dos bloqué en fin de match en quart de finale. Impossible de me lever le lendemain. Du coup, j’ai déclaré forfait et n’ai pu jouer ma demi-finale. » Terriblement frustrant.

Mais l’effort et la persévérance ont fini par payer. Elle devient championne de France (2e série) et décide de reprendre la compétition en 2015. « J’ai trouvé la formule pour ne plus autant me blesser. Mon ostéopathe, sans qui je ne serais pas là aujourd’hui, a joué un rôle majeur dans la prévention de mes blessures. »

Et Gervinator, son surnom, passe de la 800e à la 400e place du classement WTA. Fan de Nadal, connu pour sa force mentale, et pro-Clijsters, Julie s’est accrochée, sueur au front, raquette à la main droite.

Jouer sans coach

Elle pratique le même sport que Caroline Garcia, Alizé Cornet ou Kristina Mladenovic, mais Julie, qui ne croise quasiment jamais les mieux classées, vit « dans un autre monde », comme elle dit. Et loin des stars de la petite balle jaune. Sans sou, elle s’entraîne en tapant la balle avec quelques sparring-partners plusieurs fois par semaine. « J’avais un kiné, mais il ne m’accompagnait pas en tournoi. J’avais un préparateur physique qui me suivait à distance. Tout le monde n’a pas la chance d’avoir son staff en tournoi à chaque fois… »

Elle a dû se gérer en solo, même si elle a pu bénéficier du soutien sans faille de son père, toujours partant pour l’accompagner de l’autre côté du filet, lui qui, déjà, prenait la voiture pour l’emmener aux entraînements à Reims en junior dans le pôle France ou au sein d’une académie, à plusieurs dizaines de kilomètres du domicile ardennais. Et puis il a fallu s’inscrire aux tournois, en fonction des finances, payer l’avion, l’hôtel, sans compter les repas, qu’elle a aimé partager avec les autres sportifs du même niveau, solidaires. Puis jouer, revenir, recommencer.

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La passion du tennis avant tout

« Je commençais à étouffer. Ce n’est pas évident de se remotiver à chaque fois après une défaite et de repartir au combat, seule », souffle-t-elle. Pas une mince affaire, surtout que, parfois, même « une victoire finale n’est pas rentable ». « Quand j’ai gagné à Stockholm en 2015, par exemple, sans perdre un set et sortant des qualifs, j’ai dû être payée 1 000 euros, or, à la fin, il n’y avait plus grand-chose. »

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Peu importe, la passion et la joie de vaincre l’ont longtemps emporté sur les enjeux pécuniaires. Si on se focalise trop sur l’aspect de rentabilité, le besoin de rentrer dans ses frais après un aller-retour dans une ville européenne, par exemple, alors autant ne pas participer au tournoi. « Avant une rencontre, pour tenter d’y arriver, il faut toujours se concentrer sur le tennis, uniquement le jeu. » Elle a essayé de suivre cette consigne, et elle continuera encore un peu.

Si Julie a renoncé aux grands voyages, elle continuera de se concentrer là-dessus. À côté des cours pour les jeunes prodiges, elle participera à des matchs du circuit des grands tournois (CNGT), auxquels participent souvent les pros. Pour gagner, évidemment. Comment peut-il en être autrement ? / Philippe Lesaffre