Mélina Boetti, ex-joueuse devenue journaliste, et l’ancienne attaquante du PSG Candice Prévost sortent le docu Little Miss Soccer en marge de la Coupe du monde 2019 en France, qui démarre le 7 juin prochain. Elles ont réalisé un tour du monde des footballeuses. À travers la place des femmes dans le foot, c’est leur place dans le monde qu’elles interrogent.

Ceci est extrait du Zéphyr N°3, à commander en version numérique (rupture de stock)

La conversation touche à sa fin. Pendant près d’une heure, Mélina Boetti me raconte son périple qui l’a poussée à rencontrer, en 2017 et en 2018, des amatrices de foot du monde entier. Je m’apprête à raccrocher, quand, soudain, elle lance : « Attendez ! Avant de finir, je voulais vous dire que je n’aimais pas l’expression Le foot féminin. Je préfère dire : Le football. Ou à la rigueur : La pratique féminine du foot. »

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Je demande pourquoi. Réplique de Mélina : « Pour les garçons, on parle bien de football et non de football masculin. »

La reporter n’a pas tort. Et quand on parle de foot, le commun des mortels pense aux teams masculines. Le football, c’est M’Bappé, Messi, Ronaldo, Zizou, Pelé, Platini et tous les autres. Et quand on évoque le PSG ou Lyon, le cerveau renvoie automatiquement à l’équipe dirigée par Tuchel ou celle de Génésio. Pas au onze francilien entraîné par Echouafni, ni aux Lyonnaises de Pedros, championnes de France non stop… depuis 13 ans.

Médiatisation

Mélina, l’ancienne attaquante fonce et ne rate jamais une occasion pour mettre en lumière “la pratique féminine du foot”. La Coupe du monde de football approche ? Avec l’ex-numéro 9 parisienne Candice Prévost, elle en a profité pour vendre le documentaire retraçant leur voyage à la rencontre de footballeuses du monde entier. Elle se doutait bien que les diffuseurs allaient plus facilement accepter l’idée du docu (et d’un livre, en complément) avec cet événement d’envergure planétaire.

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Mélina note des progrès quant à la médiatisation de foot chez les femmes. Mais tout n’est pas parfait, loin de là. Elle en est la preuve flagrante. Pendant un an, elle a fait partie de l’équipe de “Femmes 2 foot”, une émission consacrée à “la pratique féminine du foot”, mais l’aventure n’a duré qu’une saison (2014 -2015). C’est notamment cet échec qui l’a poussée à chercher une solution alternative pour suivre les femmes jouant au ballon rond. D’où le projet Little Miss Soccer, en référence au film Little Miss Sunshine.

Lire aussi, dans la revue :  le récit du tour du monde des footballeuses qui a donné lieu au documentaire Little Miss Soccer

Ferveur de 1998

Une mission qui lui a permis d’oublier l’échec de l’émission : « C’était génial de voir ces femmes qui ne cherchaient qu’à prendre du plaisir sur un terrain. » Sans se prendre la tête. Comme si de rien n’était, comme s’il n’y avait pas de moqueries envers ces « garçons manqués », un cliché que de nombreuses jeunes footballeuses ont longtemps entendu. Autant que les auteures de Little Miss Soccer.

« La pratique du foot pro s’est structurée ces dernières années, et il est plus facile de jouer actuellement », relève néanmoins Mélina. Après la ferveur de 1998, et le fameux 3-0 contre le Brésil, de nombreuses filles (et garçons) ont enfilé les crampons, en club. Idem après le Mondial en 2011 en Allemagne, où les Bleues ont fini 4e. « En 2011, on comptait 50 000 licenciées, actuellement, c’est 160 000. Si on veut entamer une carrière pro, c’est tout à fait faisable aujourd’hui… »

Et ça bouge aussi du côté des chaînes de télé, de plus en plus partantes pour diffuser des rencontres de toute beauté en prime time. « Aujourd’hui, pour suivre le championnat de France et la Coupe du monde, il y a un diffuseur officiel, c’est Canal + », se félicite la journaliste qui, outre Eurosport, a également bossé pour France Télévisions.

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« Actuellement, dans la lumière, on ne voit que Paris et l’OL”

Pour autant, Mélina ne crie pas encore victoire. Elle attend de voir s’il y aura « des retombées pour les filles » à la suite du succès de l’équipe de France de foot masculine, championne du monde en Russie en 2018. Et, de manière générale, Mélina regrette l’absence d’harmonisation entre les clubs : “Actuellement, dans la lumière, on ne voit que Paris et l’OL.”

Elle a une solution : il faut changer de logique. Pour l’instant, les équipes de filles se greffent en très grande majorité aux clubs créés pour les garçons. « On laisse les filles dans le giron des mecs. Et ça ne marche pas pour les clubs où les disparités de salaires et de conditions de pratique sont encore grandes. Je pense qu’il faudrait au contraire une ligue professionnelle dédiée, et des équipes 100 % féminines, une économie propre. Comme ce qui existe dans le basket. Cela permettrait d’instaurer une grille salariale plus juste, notamment. » Et ce, pour envisager, plus sereinement, la vie d’après. Celle d’après 30 ans, quand la carrière pro s’achève.

La deuxième vie de Mélina a démarré dans l’éducation nationale, dévoile-t-elle à Foot d’elles, mais, quand elle a vu “éclore toute cette génération de femmes journalistes sportives, Nathalie Iannetta, Isabelle Ithurburu…”, elle s’est dit : « Pourquoi pas moi ? » Alors, elle a tenté le coup. Et avec succès, on l’a vu.

Et Mélina de poursuivre : “Dans l’idée, j’avais plutôt envisagé d’être consultante, puisque j’avais les connaissances, le vécu, le terrain. J’ai commencé (à la radio), sur le 10 Radio, où j’intervenais avec Daniel Bravo lors du show Talons Vissés. Lorsque j’en ai eu l’opportunité, j’ai repris mes études durant deux ans en alternance, pour valider mon expérience.”

« Distiller les bons ballons »

Et comment s’est-elle éprise de football ? Mélina, née en 1982, replonge dans ses souvenirs d’enfant. « J’ai commencé à jouer au foot par mimétisme, me raconte-t-elle. Si Candice a eu le déclic avec le Mondial 98, moi j’ai suivi mes cousins. » Tout simplement. Mélina joue, comme beaucoup d’autres, en équipe mixte jusqu’en “– de 13”.

« Comme je suis originaire d’un petit village dans les Alpes-de-Haute-Provence, où il n’y avait pas d’équipe féminine, précise-t-elle à Foot d’elles, j’ai dû arrêter quelques années. Je m’y suis remise lorsque j’ai commencé mes études à Marseille, avec le Celtic Marseille où j’ai joué une année en National 1 A (ancienne D1 féminine). À l’époque, j’occupais le poste de milieu offensif, Je préférais jouer milieu offensif voire 9 1/2 et distiller les bons ballons, plutôt que 9. »

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Bien des années plus tard, c’est en dehors du terrain qu’elle regarde les filles “distiller de bons ballons”. Sur tous les continents avec le docu (et livre) Little Miss Soccer, et, prochainement durant la Coupe du monde en France, qu’elle suivra avec attention, forcément. Logiquement. / Philippe Lesaffre