Billet – On a beaucoup parlé des punaises de lit en cette rentrée. Les hétéroptères n’ont pas envahi nos trains, nos intérieurs durant ces derniers mois. Ils se développent depuis les années 90 en raison de notre mode de vie. Et si on se « détendait de la punaise », comme l’appelle de ses vœux l’auteur entomologiste François Lasserre ? Lui et d’autres tentent de réhabiliter les invertébrés honnis.

Oh punaise ! On ne les a pas vus arriver, ces insectes rampants. Ils ont envahi l’espace médiatique à la rentrée, entre septembre et octobre. On a commencé à se gratter toute la journée en consultant les réseaux sociaux, et même la presse. On n’arrivait plus à dormir tranquille. Les punaises ont infesté notre esprit et nos intérieurs un peu partout sur le territoire.

Les petites bêtes colonisent les logements à la recherche d’un peu de sang pour se nourrir. Pas de jaloux. Des papiers ont fait état d’invasions dans les hôpitaux du Doubs, du Pas-de-Calais ou encore dans le Rhône au printemps dernier. Les punaises ont été vues également dans des salles de cinéma, notamment à Paris. Elles donnent des sueurs froides aux responsables, qui ont prié afin que Cimex hemipterus, pour les intimes, ne se cache pas dans leur antre. L’angoisse des proviseurs. Durant cette période, on a appris que des classes ont dû fermer pour batailler contre les arthropodes, « Persona non grata« , comme l’a titré Libération, il y a peu.

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Déconnectés du vivant

Panique générale. Des médias tels que Le Parisien ont publié le témoignage de citoyens exaspérés, impuissants. Certains refusent désormais de poser leur sac sur le strapontin des wagons du métro. Pourtant, cela ne présente aucun risque. « La punaise de lit, précise l’entomologiste Léna Polin à Francetvinfo, n’a aucun intérêt à rester sur vous ou dans vos affaires pour rentrer chez vous ; elle va plutôt vouloir rester sur le siège sur lequel elle vous a piqué. »

Lire : Des citoyens se battent pour les forêts, Le Zéphyr lance le podcast « En forêt » pour leur tendre le micro

Mais c’est qu’il nous manque de nombreuses informations, tellement nous nous sommes déconnectés du vivant. Ces insectes parasites, pour rappel, piquent mais ne transmettent aucune maladie. Par ailleurs, leur présence n’est absolument pas liée à un quelconque manque d’hygiène, le préjugé a la vie dure. Les punaises de lit, on peut aussi les confondre avec d’autres espèces, puisque beaucoup se ressemblent, il est vrai, et qu’il en existe de très nombreuses. Plus d’un million d’espèces d’insectes dans le monde entier ont d’ores et déjà été identifiées (contre 6 000 espèces de mammifères par exemple).

« L’image de la France en jeu »

Même la presse étrangère s’y est mise, le sujet intéresse le monde entier. « Personne n’est en sécurité », a expliqué le Washington Post. « Ville de Lumière ou des morsures ? La France tente de mettre fin à l’anxiété des punaises de lit« , a expliqué un reporter du New York Times. « La panique avant les JO à Paris », a observé de son côté la BBC. Ainsi, à quelques mois de l’événement sportif planétaire, l’exécutif s’est emparé du sujet histoire de calmer le jeu, le gouvernement promettant en particulier « un grand nettoyage de printemps ». Interrogé par Médiapart, Bruno Studer, député Renaissance du Bas-Rhin, l’a admis : « Quand ce qui est en jeu, c’est l’image de la France, forcément, ça interpelle. »

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Cimex lectularius

Il ne s’agit pas de nier le souci, parfois très irritant en cas d’infestation. Mais il ne date pas d’hier, comme l’a rappelé l’élue (LFI) Mathilde Panot, qui alertait déjà en 2017. La punaise de lit, qui court après votre sang, aurait infesté jusqu’à 11 % des ménages français entre 2017 et 2022, d’après une enquête menée par l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses). Les punaises se multiplient, mais impossible de donner de chiffre exact. On ne peut en effet les compter aisément. Certaines doivent ramper derrière les plinthes de votre logement sans que vous ne vous en rendiez compte (ne paniquez pas).

Des solutions sans pesticides

En réalité, les populations se développent un peu partout depuis les années 90, rappelle Francetvinfo. On voyage, on se déplace, on consomme des produits du monde entier, ce qui permet à beaucoup d’insectes opportunistes d’envahir toujours plus de régions. C’est le cas, par exemple, du frelon à patte jaune (on ne peut plus dire « frelon asiatique »), que les apiculteurs craignent puisqu’il se nourrit de leurs abeilles.

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Reporterre l’a écrit, des solutions existent pour s’en débarrasser, certains professionnels proposent d’agir sans pesticides chimiques. Des produits problématiques (rappelle l’Anses) et pas toujours « utiles », car les punaises ont cette capacité de s’adapter et de résister.

Réhabiliter les insectes

L’auteur et entomologiste François Lasserre a été un peu irrité par cette psychose générale, lui qui voudrait nous « détendre de la punaise ». Mais il comprend bien d’où elle vient. « On veut faire comme si le vivant n’existe pas, on l’éradique, on repousse les animaux, on n’en veut plus. » Au Zéphyr, il ajoute (dans le magazine, n°16) que via l’Office pour les insectes et leur environnement (Opie), ses livres et ses conférences, il tente de « réhabiliter les insectes qui ne nous ennuient pas, soit 95 % d’entre eux ».

Il s’agit pour lui de repenser notre rapport à ces invertébrés stigmatisés, que nous détestons, qui nous dégoûtent, mais que nous connaissons très mal. D’autant qu’il manque des entomologistes pour observer davantage les insectes, dont le déclin global est quand même vertigineux. « Les protocoles sont longs, chers et complexes à mettre en place », analyse dans Le Zéphyr Hugues Mouret, fondateur de l’association de défense de l’environnement Arthopologia.

Déclin vertigineux des insectes

Ce que l’on sait en revanche, c’est que certaines espèces disparaîtront avant même que nous ne puissions les découvrir. Et ce, en raison de « notre empreinte trop forte », nous explique François Lasserre. Les causes sont multiples : modification des milieux, destruction des habitats, pollutions. Or, les insectes sont très importants. Ils pollinisent 80 % des plantes à fleurs, recyclent les nutriments, permettent d’accélérer le travail de décomposition du bois, des feuilles et apportent ainsi de la matière organique au sol. Un sol qui joue un rôle de puits de carbone non négligeable.

Il faut les laisser faire, les insectes, il faut leur laisser une place, accepter leur présence, les naturalistes essayent de faire passer le message. Selon eux, si on réensauvage les parcelles, les jardins, les zones non productives, alors les butineurs des fleurs reviendront se balader de tige en tige, d’herbe en herbe… / Philippe Lesaffre