Notre reporter a profité d’un retour à Béziers auprès de sa famille pour dresser le portrait de cette ville du sud, tenue par l’extrême droite depuis cinq ans, et qui résiste, vaille que vaille.
De retour pour les fêtes à Béziers, dans mon Languedoc d’origine ou presque, je savoure les joies simples de la vie de famille. Au programme, à quelques jours du réveillon 2018 : une action de sensibilisation à la sécurité routière organisée par l’école maternelle. Je me suis porté volontaire pour accompagner nos chères têtes blondes (et brunes) dans le but de faire le tour des stands de la Sécurité civile et de la police.
Rien de bien extraordinaire jusqu’à l’arrivée surprise de M’sieur le maire Robert Ménard, ancien patron de Reporters sans frontières. L’ex-chroniqueur polémiste à i-Télé (aujourd’hui : Cnews), RTL et Sud Radio a été élu maire de Béziers en 2014 avec le soutien du Front national. Affectueusement surnommé Bob par les habitants, il aime se promener dans les rues, entouré de son équipe de joyeux lascars.
Fier et sûr de lui, il avance vers moi, m’adressant un vague « Quelle est l’activité présentée sur ce stand ? », sans même daigner me regarder. Il lève enfin ses yeux sur moi et me tend la main. Il est cuit : je le toise, le dévisageant des pieds à la tête, avant de me retourner vers les gosses, laissant sa main et son regard dans le vide, ahuri.
Ce jour-là, j’ai savouré mon plaisir de lui mettre une belle crampe. Alors, c’est vrai, je n’en ai pas l’exclusivité. Il a d’ailleurs perdu un procès en appel pour avoir traité de “p’tit con” un instituteur ayant refusé de lui serrer la main. Pour cette insulte, Bob a dû casquer 1 001 euros. Rien n’est gratuit en ce bas monde.
Lire aussi : Roybon, portrait d’une zone à défendre
Barbès… ou presque
Depuis mes années lycée, la ville a bien changé. J’ai un pincement au cœur en découvrant un centre commercial flambant neuf à l’endroit où squattaient junkies et graffeurs, le long des voies ferrées, dans de vieux entrepôts abandonnés par la SNCF dans l’est de la commune. Un centre commercial tant désiré… mais qui tue les commerces du centre-ville, situé à quelques centaines de mètres de là. Un joueur de pétanque m’explique qu’aujourd’hui la féria (la grande beuverie traditionnelle du 15 août, ndlr) est « moins festive, moins populaire », avant de rejoindre le terrain de boules, à côté de la nouvelle bibliothèque, sur l’ancien Champs-de-Mars.
Malgré tout, les fondamentaux ont la dent dure. Les mendiants squattent toujours devant le théâtre et les allées Paul Riquet. La population, bigarrée et bruyante, crie encore son accent méditerranéen. C’est une version édulcorée de Barbès ; ça ressemble à un un mini-Marseille en plus tranquille.
Il faut dire que Béziers est le fruit d’une histoire aussi riche que tourmentée, faite de brassages et de bagarres. Quelques mois après son accession à la Mairie, Ménard avait proposé à son pote Renaud Camus – proche de Marine Le Pen – de réaliser un ouvrage historique sur sa ville. Entre les deux hommes, le courant était bien passé jusqu’au moment de causer argent. Camus préférera se présenter à l’élection présidentielle, au nom du micro-parti SIEL (Souveraineté, indépendance et libertés).
Lire aussi : Gilets jaunes VS Journalistes… Pourquoi tant de haine ?
“Un guignol qui s’agite”
Malgré le calme apparent, Béziers cristallise l’attention du monde médiatique depuis 2014. Date de l’arrivée de Bob à la mairie. Celui qui dit « partager les mêmes valeurs » que Donald Trump, qu’il a d’ailleurs officiellement invité après son élection à la Maison Blanche, n’a qu’une chose en tête : rendre Béziers aussi visible qu’à l’apogée de l’ASB, la légendaire équipe de rugby biterroise, qui remporta le bouclier de Brennus à 11 reprises, entre 1971 et 1984. Alors, oui, 30 ans après cette période de gloire, tout le monde connaît Béziers. Mais plus vraiment pour les mêmes raisons.
Bob ne doit son succès qu’au florilège de mesures farfelues qu’il balance en continu sur tous les médias. Petit florilège : interdiction de cracher, d’accrocher une parabole à sa fenêtre ou son linge aux balcons, « interdiction de battre les tapis par la fenêtre après 10 heures du matin… », dixit un arrêté municipal d’avril 2014. Un mois plus tard, le Conseil municipal commande 2 000 blouses scolaires pour couvrir les élèves de la commune – au final, une seule école privée tenue par un proche du maire suivra. Un gros bide à 40 000 euros.
Dès l’été 2014, Bob instaure un couvre-feu surprise contre les mineurs de moins de 13 ans du quartier populaire de la Devèze. Sautant sur toutes les occasions, il profite de Noël pour installer une belle crèche au cœur de la mairie. Malgré les recours des associations laïques, le tribunal administratif de Montpellier cédera au caprice de l’élu. Puis, en plein cœur de l’hiver 2015, il annonce au monde entier avoir armé sa police municipale, en étalant de grandes affiches à travers la ville pour présenter à ses administrés le nouveau joujou des policiers : un bon gros flingue.
___________________________________________________________________________Ne ratez rien de l'actualité du Zéphyr
Manque d’imagination ?
En mars 2015, pour fêter son premier anniversaire en tant que maire, Bob organise une méga-boum en ville, avec tous ses meilleurs copains. Ils se sont donné rendez-vous dans une artère jusqu’alors nommée rue du 19-Mars-1962 – date des accords d’Evian signant la fin de la guerre d’Algérie – et qu’il vient de renommer rue Commandant Hélié-de-Saint-Marc, l’homme du Pustch de 1961, à la tête du « quarteron de généraux en retraite » vilipendé par De Gaulle à la télé. Bref, une des plus hautes figures de l’Algérie française. Ambiance !
Mais depuis ce happening, Bob manque d’imagination. Le coup de mettre en couv’ du journal municipal de septembre 2015 un photomontage, bidonné sur Photoshop, d’un train de migrants, avec, pour titre Ils arrivent ! en a déçu plus d’un. Ou encore cette tentative avortée d’interdire les kebabs pour des raisons de santé et de salubrité publique. Sans oublier le projet de créer une « garde biterroise« , une milice composée de volontaires censés patrouiller au nom de la tranquillité publique… et retoquée par le tribunal administratif de Montpellier.
Depuis, on a l’impression que Bob s’est un peu découragé. À peine ose-t-il encore bidouiller des photos de réfugiés, légendées de slogans des années 40 du genre : « Les migrants envahissent notre centre-ville. » Certes, il a encore tenté, à l’automne 2016, d’interdire à ses opposants l’accès au Conseil municipal ou d’inviter le président-élu Donald Trump à Béziers. Sa dernière lubie ? Encourager les habitants à espionner leurs voisins quand ils sortent leurs clebs… histoire de lutter contre les merdes de chien.
Bob n’est déjà plus, aux yeux des Biterrois, qu’un « guignol qui s’agite pour rien », entend-on en terrasse à l’heure du pastaga. Alors, certains, comme Julien Chollet, se sont sérieusement mis à penser à la suite.
Lire aussi : Elisabeth Warren,l’anti-Trump qui vise la Maison Blanche
« Western-cassoulet »
Julien Chollet, 36 ans, a monté sa boite de com’ et d’événementiel, après dix années dédiées à la musique blues. Il est aujourd’hui à la tête du festival Electro Summer Sound, qui se tient chaque année à la Corderie de Rochefort et où de grands noms de l’électro comme Étienne de Crécy, David Guetta ou The Avener aiment venir mixer.
Julien n’a pas supporté les affiches de la campagne anti-migrants d’octobre 2016. Écœuré par cette politique « digne de la fin des années 1930 », il propose un contre-affichage, financé via la plateforme KissKissBankBank. Les 6 000 euros reçus – sur les 4 320 € nécessaires – ont permis de réaliser « une campagne publicitaire humaniste pour l’accueil des migrants à Béziers ». Mais encore a-t-il fallu trouver un imprimeur suffisamment couillu pour affronter la bande à Bob. Les deux imprimeurs sollicités – Experion Média et Clear Channel – lâcheront l’affaire à la dernière minute. Pas d’imprimeur, pas de campagne.
Or, dans le même temps, le western se poursuit au tribunal. Une plainte est déposée par l’opposition pour obtenir le retrait des affiches anti-migrants et des articles parus dans le bulletin municipal. Les motifs de la plainte sont simples : xénophobie, racisme et propagande. Sentant le tribunal administratif prêt à le condamner pour avoir « dépassé la vocation dévolue à un tel bulletin (et) méconnu le principe de neutralité du service public », Bob fait retirer les affiches, avant que le verdict ne tombe.
Lire aussi : Santaki, le romancier du 93
L’art de la guerre
De son côté, Bob of Béziers se défend comme il peut. « Il refuse l’accès aux locaux municipaux à nos associations au motif qu’on trouble l’ordre public ! », ricane (jaune) un bénévole. Et, pour ce qui est des subventions, c’est simple, il n’y en a plus. Conséquence : « Depuis, 30 ans, l’association Arc-en-ciel, qui s’occupait des gosses dans le quartier de La Devèze, va crever. Sept personnes y étaient salariées. Il a coupé net les subventions. Le résultat est là : des gosses dans la rue et sept chômeurs de plus », grogne l’associatif Mehdi Roland.
Face à Bob, on trouve aussi Linda Mendy, présidente de l’association Cultures solidaires. En 2011, cette maman de 5 enfants crée l’association pour sensibiliser ses concitoyens à la pauvreté et aux discriminations. Aujourd’hui, elle distribue des repas, collecte des vêtements et mène de nombreuses autres actions solidaires envers les démunis de tout horizon.
Pour elle, « le travail reste énorme en ce qui concerne l’engagement politique. Beaucoup de personnes ne votent pas et laissent de la marge aux extrêmes. Autant l’engagement social se développe très bien, mais il est difficile de faire prendre conscience de l’importance de voter. C’est une grande partie du travail des deux associations ».
Linda, qui est aussi une jeune grand-mère, a vu rouge “quand Bob a monté un fichier sur les enfants musulmans scolarisés”. « Ce sont des pratiques de la Gestapo ! » s’emporte-t-elle, avant de reprendre ses esprits et nous livrer son analyse : « C’est le poste qu’il occupe qui lui donne de l’importance. Il bénéficie d’une tribune pour exprimer ses idées de facho. Clairement, il utilise les journaux municipaux pour exprimer ses opinions politiques xénophobes personnelles. Avec Bob, le niveau du débat est très limité. Islam et migrants, c’est tout. Concernant l’affaire des affiches, il se pavane en grand vainqueur alors qu’il les a retirées lui-même la veille du procès et qu’il a été débouté des 2 000 euros qu’il réclamait à titre de dommage à chaque association. »
Auto-interviews, pratiques douteuses
Ces petites victoires, ces militants les doivent, en partie, à Marie-Sygne Leca et à Eric Bernard, deux avocats parisiens « qui font tout ça bénévolement ». Mehdi explique : « Ils se sentent concernés par ce qu’il se passe à Béziers et veulent agir. » Alors que j’entame la conversation avec Me Bernard, celui-ci me lance, comme en préambule, cet aphorisme de Sun Tzu : « Le meilleur savoir-faire n’est pas de gagner cent victoires dans cent batailles, mais plutôt de vaincre l’ennemi sans combattre. »
Eric Bernard connaît bien Bob. Il a d’ailleurs eu affaire au « journaliste » Ménard sur un plateau d’i-Télé, en 2010. « J’étais invité pour une de ces émissions qui traitent de la peine de mort, raconte-t-il. J’ai été frappé par la manière dont il gérait son show. Il oscillait en permanence entre ses opinions et son rôle de présentateur. Quand la réponse de l’invité était embarrassante ou ne lui plaisait pas, il coupait court et passait à autre chose. C’était un déballage d’opinions personnelles plus qu’autre chose. Et en tant que maire, il continue : à force de pratiquer l’auto-interview et ce genre de procédés, il a donné au journal municipal un style VSD ou Le Nouveau Détective. Il reprend les mêmes politiques graphiques que la peste brune des années 30, sans parler des contenus et de la manière dont il dépeint les demandeurs d’asile. »
Lire aussi : Jair Bolsonaro : mains propres, idées sales
La France est un pays d’accueil
Et concernant les procès ? « Pour éviter de se faire humilier, il a donc eu l’intelligence de faire retirer les affiches au bon moment. Concernant les publications, la violation de neutralité du service public est reconnue. Après l’ordonnance du juge du tribunal administratif, le communiqué publié par la municipalité de Béziers est à l’image du niveau de la politique du maire. Racisme, xénophobie, islamophobie sont les termes utilisés par cet excellent communicant. Il y a tout de même une information importante : tout ce tapage concerne l’arrivée… de 40 migrants dans cette ville de 70 000 habitants (soit 0.5 % de la population, ndlr). Cette situation n’est pas sans rappeler Rhinocéros de Ionesco. »
Quant au référendum qu’a voulu organiser Bob sur la question des migrants (validé par le Conseil municipal, mais suspendu par le tribunal administratif de Montpellier, ndlr), Me Eric Bernard réplique : « La France est un pays d’accueil. C’est un devoir de venir en aide à des individus vulnérables dans la dignité. Dans cette ville, le Conseil municipal est le théâtre d’un bien triste spectacle. Les adversaires du maire sont systématiquement bloqués à l’entrée, ce qui a déjà occasionné des échauffourées.
Lire aussi : Paul Ariès, et son combat contre la surconsommation
Monsieur Ménard et Mister Bob
Robert Ménard a peut-être un peu changé. Celui qu’on surnommait « l’éternel ado » a pris un sacré coup de vieux, dans sa tête. C’est peut-être la nostalgie de sa jeunesse algéroise qui le rend aigri. D’ailleurs, Bob a du mal avec la jeunesse de sa ville. Pour les fêtes de fin d’année 2017, il avait encore été gâté par l’ouverture d’un procès, à la suite de réflexions sur la fréquentation des écoles par « des enfants trop barbus ». Il va finir avec un casier judiciaire digne d’une racaille de Crenshaw !
C’est à se demander si c’est bien lui, le père de Reporters sans frontières. Lui qui a défendu avec tant d’énergie et de ferveur ses confrères de l’autre bout du monde, sans jamais faire de distinction de couleur de peau ou de religion. Et dire qu’on lui reprochait de ne pas s’intéresser à son propre pays. Bref, Bob, c’est comme Béziers, c’était mieux avant. Et moi, je crois que je vais rentrer à Paris. / Julio Rémila