On a retrouvé le dessinateur Tristan Garnier, alias Tristuss, que vous avez découvert dans le dernier numéro du magazine. Il a réalisé, avec son ami photographe Lucas, un tour du monde, qui s’est terminé un peu précipitamment en raison de la pandémie.

Les deux compères ont mis de côté leur appareil photo et leur crayon pour nous raconter leur aventure. Leur voyage a pris fin en Mongolie, où, après un confinement forcé, ils ont été renvoyés en France.

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Quels pays avez-vous visité ?

Tristan Garnier : Nous avons traversé une partie de l’Europe, en passant par l’Allemagne, La Pologne, La Lituanie et la Lettonie. Ensuite, le Transsibérien nous a conduit en Russie, et notamment en Sibérie. Puis, on est arrivés en Mongolie, mais, là, je ne sais pas si on peu dire qu’on a « vu » le pays. 

Lucas : Nous devions avancer jusqu’en Chine puis en Inde, mais on a rapidement été rattrapé par les événements liés à la crise sanitaire.

Galères et euphories

On y revient dans un instant, mais avant pouvez-vous me dire quels souvenirs vous gardez du voyage ?

Tristan : Je pense que les souvenirs que nous garderons le plus longtemps seront surtout les rencontres. Après avoir traversé en stop la frontière entre l’Allemagne et la Pologne, on s’est retrouvés à galérer pendant plusieurs heures le long d’une autoroute. Le soir, on est arrivés chez Aravind, un étudiant qui nous logeait, avec qui on avait pu échanger sur l’application CouchSurfing. Ce moment pourrait paraître assez anodin, mais il nous a si bien accueillis, sans même nous avoir vus une seule fois auparavant… En plus, on a débarqué à 23 h dans son 15 m², avec nos godasses pleines de terre. On s’en souviendra.

Lucas : Je garde des souvenirs de galères intenses, lorsque personne ne parle un mot d’anglais ou de français autour de nous par exemple et que notre train pour la Russie part quelques minutes plus tard. Je repense aussi à des souvenirs d’euphorie, liés à l’inconnu. Je me rappellerai toujours de la fois où on a été pris en stop sur le lac Baïkal recouvert de glace, alors que nous étions à plusieurs heures de marche de notre logement et que la nuit tombait. 

C’est confus, car il se passe tant de choses chaque jour. On passe d’une atmosphère à une autre en permanence, en passant les frontières, en changeant de paysages. Tout est en mouvement perpétuel, et c’est très éreintant. 

« Besoin de voir du neuf pour mes photos »

Pourquoi êtes-vous partis ? 

Tristan : Avec Lucas, on avait besoin d’un peu de folie après notre diplôme en poche, obtenu à l’ESAL à Epinal. L’idée d’enchaîner avec un master ne nous faisait pas vraiment rêver, et Lucas avait depuis longtemps cette idée de voyage. Au départ, c’était juste un long séjour en Inde, puis de fil en aiguille, c’est devenu une traversée de l’Europe et de l’Asie. 

Lucas : On s’est aussi dits que c’était un bon moyen d’expérimenter ce qu’on avait appris durant nos études, à savoir le dessin et la photographie. Le voyage permet de voir les choses sous un autre angle, et d’obtenir un traitement artistique différent. Cela faisait longtemps que je photographiais la ville d’Épinal, et j’avais besoin de voir du neuf. Je me suis également beaucoup rapproché des gens durant ce voyage. Alors qu’ils apparaissaient jusque-là comme des silhouettes ou des fantômes dans mes photographies, je me suis appliqué à en faire des portraits, des gros plans.

les couvertures du Zéphyr

Pourquoi avez-vous souhaité raconter le voyage sur Instagram (ici) ?

Tristan : Même si on n’est pas des habitués de ce réseau, ça nous est très vite tombé sous le sens. D’une certaine manière, ça nous obligeait à garder une certaine rigueur. Ceux qui nous suivaient attendaient de nos nouvelles, donc il fallait qu’on poste régulièrement. Mais c’était une bonne chose !

Lucas : Instagram marche également comme une sorte de bibliothèque ou de portfolio. En regardant la page, on peut avoir un aperçu rapide de l’évolution du voyage, ainsi que de l’ambiance. C’est intéressant d’en avoir une vision globale.

Bloqués en Mongolie en raison de la pandémie

Mais, finalement, le voyage ne s’est pas terminé comme prévu, en raison des confinements

Lucas : Même si ce voyage a été extraordinaire, on en garde une certaine frustration, car on n’a pas pu l’aboutir, en effet. Le projet s’appelait Épinal-Kânyâkumârî. C’est une petite ville à la pointe du Sud de l’Inde qui devait marquer l’arrêt de ce road trip, mais on a dû s’arrêter à Oulan-Bator pour les raisons sanitaires que l’on connaît. 

Tristan : On pourra peut-être repartir un jour de là où l’on s’est arrêtés… 

Lucas : Pas de bol ! On est partis le 17 janvier de France, et, à cette époque, le coronavirus n’était qu’une vague maladie mystérieuse et lointaine à laquelle on prêtait peu d’importance. En arrivant en Russie en mars, tout prenait déjà de l’ampleur. On a vite compris qu’on devrait faire l’impasse sur la Chine. On était parmi les derniers à être autorisés à passer la frontière mongole. 

Confinement séparé

À ce moment, je crois qu’on a pris une grosse claque au visage. La Mongolie a été ultra-vigilante avec la pandémie, au contraire de la Russie quand on y était. On a dû passer un nombre incalculable de contrôles avant de pouvoir rejoindre enfin Oulan-Bator. Un jour après notre arrivée, il y a eu un premier cas de contamination, et le virus a été ramené par un… Français.

Après ça, tout s’est compliqué. On a vécu une quatorzaine dans la capitale. On a ensuite essayé d’en partir, mais, après quinze heures de bus, on nous a reconfinés dans la campagne. Et cela n’a pas été simple, car on était séparés. Chacun avait sa chambre, et on avait interdiction d’en sortir. Nos repas étaient déposés devant la porte, et une dame en combinaison venait régulièrement prendre notre température. Heureusement, on y est resté que trois jours, mais on nous a obligés à prendre un bus pour Oulan-Bator dès notre sortie. 

« Ne parlez pas français dans la rue »: le conseil de l’Ambassade française

Tristan : L’ambiance était très étrange, tout le monde était extrêmement vigilant avec les étrangers. À l’Ambassade française, on nous a même conseillé de sortir le moins possible dans la rue et de ne surtout pas y parler… français. On avait encore l’espoir fou de continuer le voyage, en avion peut-être, pour rejoindre l’Inde. Finalement, on a dû se rendre à l’évidence quand tous les pays du monde ont successivement fermé leurs frontières. Et on a fini par réussir à prendre un des très rares, et très prisés, avion pour quitter le pays et rejoindre la France. 

Un livre retraçant le voyage

Comment allez-vous valoriser ce que vous avez produit ? Et quelle est la suite pour vous deux ?

Lucas : Nous aimerions éditer un livre réunissant nos dessins et nos photographies. Il y a un gros travail de retouche et de tri en ce moment pour essayer de valoriser la production. Cela a été grisant de se replonger durant le confinement dans ce road trip inachevé, à travers les milliers d’images. Il faut faire des choix, tenter de prendre une direction ou une autre. C’est notre première collaboration, alors ce n’est pas évident ! 

Tristan : J’essaye de me replonger dans mes souvenirs pour raconter certaines de nos histoires à travers des dessins et de la bande dessinée. Le défi va être de mettre nos travaux en corrélation dans ce projet d’édition. J’essaye d’avance sur plusieurs projets de BD, tout en répondant aux commandes de dessins (Retrouvez son travail dans Le Zéphyr)

Lucas : Ce voyage me laisse sur ma faim et je compte bien repartir dès que possible pour voir ce qu’il se passe chez nos voisins. J’aimerais axer mes prochains parcours sur une démarche documentaire en sélectionnant un sujet particulier à couvrir. / Propos recueillis par Frédéric Emmerich