Le père de Michael Jackson laisse l’image d’un patriarche à la main de fer qui a conduit ses enfants sur la route du succès… à coups de ceinturon. Disparu à 89 ans, neuf années après son fils, il est aujourd’hui tenu pour principal responsable des troubles psychologiques du King of pop.
Emporté fin juin 2018 par un cancer du pancréas, Joseph Jackson a rejoint la liste noire des pères violents qui ont façonné des stars, aux côtés, notamment, de celui de Beyonce, Mathew Knowles. Portrait sans concession.
Le cercle de la violence
Joe Jackson est un enfant du krach de 1929. Né un an avant la Grande Dépression qui va ruiner des millions d’Américains, il grandit dans l’Arkansas, au sud des États-Unis, un petit État coincé entre le Mississippi et le Texas, où être noir n’est pas une fatalité.
Il a 12 ans lorsque ses parents divorcent – chose rare à l’époque. Joe dévoilera la raison de cette rupture dans sa biographie, The Jacksons : son père Samuel avait été un mari violent.
La mère fuit donc, abandonnant son fils à ce prof de lycée tyrannique, qui lui inflige une « éducation très stricte », comme on dit. À la maison, les coups pleuvent. Et, pour se libérer de sa haine, Joe les rend… sur le ring. L’ado débute alors une carrière de boxeur amateur en Californie.
Mais, malgré tout, 20 ans plus tard Joe reproduira les violences de son passé… sur ses propres enfants.
À 19 ans, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale – à laquelle il a échappé de justesse, trop jeune pour être enrôlé – Joe se décide à fuir son père pour Chicago. Joe y retrouve sa mère et se dégote un job de grutier, dangereux et mal payé.
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The Falcons
De longues années de labeur durant lesquelles ils ne rêve que de célébrité. En parallèle, il poursuit sa « carrière » de boxeur amateur. Mais Chicago n’est pas la Californie. Ici, l’univers de la boxe est noyauté par la mafia. De quoi effrayer la jeune Katherine Scruse, qu’il épouse en 1949.
Le couple s’installe dans l’Indiana, à Gary, dans un trois-pièces voisin de la maison du frère de Joe. Là, Kathy, sa femme, trouve un poste de vendeuse dans un magasin et Joe, une place de soudeur à 65 $ la semaine dans une usine de métaux. Il y restera 15 ans… tout en caressant aussi l’idée de devenir… une star du rhythm ’n’ blues, avec ses frères, et leur groupe, The Falcons.
« Je me rappelle que mon père travaillait à l’usine, raconte Michael Jackson dans son autobiographie, parue en 1988, Moonwalk. Il faisait un travail dur et abrutissant et il jouait de la musique pour s’évader (…). Les Falcons répétaient dans la salle à manger de notre maison. Comme mon père avait neuf enfants et mon oncle huit, la famille était une véritable colonie de vacances. »
Ce que le jeune Michael ne comprend pas encore, c’est combien son père est avide de célébrité. « Une voix au fond de moi me disait : “Ton destin est ailleurs” », avait confié Joe Jackson au journaliste Randy Taraborrelli, auteur, en 1991, d’une bio non autorisée du roi de la pop. Mais le désir de reconnaissance de Joe reste frustré : le groupe The Falcons ne décolle pas, et l’Amérique des années 50 commence à oublier le rythm ’n’ blues.
La légende de la corde cassée
« Personne ne devait toucher la guitare de mon père en son absence. Interdiction absolue ! » ajoute Michael Jackson. Et pourtant… Il était une fois trois garnements appelés Jackie, Tito et Jermaine. Dès que la mère tourne le dos, ils ouvrent discrètement le placard dans lequel le père pose sa précieuse guitare électrique et se réfugient dans leur chambre pour y jouer sans être entendus. Un jour, la mère surprend les garçons, la guitare à la main. Mais, préférant les voir jouer de la musique plutôt que traîner dans la rue, elle laisse faire. Mais un soir, hélas, une corde de guitare casse. Panique dans la fratrie ! Incapables de changer la corde, ils remettent l’instrument dans le placard, espérant que le père n’y voit que du feu…
« Mais papa n’était pas né de la dernière pluie, et il était furieux, poursuit Michael. Mes soeurs me conseillèrent de me faire tout petit et de me cacher. Papa cria après Tito, qui s’était réfugié sur son lit. » Sur qui les coups vont-ils pleuvoir ? Soudain… Miracle ! Ce n’est pas son poing que Joe colle sous le nez de Tito, mais le manche de guitare. « Montre-moi ce que tu sais faire ! », lâche l’ancien boxeur. Le gamin s’assied, incrédule, l’instrument sur les genoux, et joue son meilleur riff. « C’est là que ma mère est intervenue pour plaider notre cause, conclut Michael. Et, à force de lui rabâcher que nous étions doués, mon père a fini par l’entendre. »
Joe comprend alors qu’il peut réussir avec ses fils là où il a échoué avec ses frères… « Il passa alors, précise le roi de la pop, de moins en moins de temps avec les Falcons et de plus en plus de temps avec nous. » Pour le meilleur et pour le pire.
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Sueur, larmes et vaseline
Nous sommes en 1963. Jackie, Tito et Jermaine forment The Jackson Brothers. En 1966, Marlon et Michael, 8 ans, intègrent la bande, qui devient The Jackson Five.
Durant les répétitions de chant et de danse – qui durent parfois plus de 5 heures – les garçons appellent leur père “Joseph”, en signe de respect. Lui, se surnomme “The hawk”, Le faucon. À chaque erreur, les gosses ramassent une gifle ou un coup de ceinturon. L’hiver, Joe les force à faire le tour du jardin, un bloc de béton dans les bras. L’été, il les envoie arracher une branche de peuplier… avec laquelle ils seront corrigés. La sueur et les larmes finissent par payer. « De grandes souffrances naissent de grandes choses », devait se dire Joe.
Dans ses mémoires, le frère Jermaine Jackson tentera d’excuser la “rudesse” de son paternel : il aurait créé les Jackson Five pour leur éviter de finir dans les gangs de la ville de Gary. Un argument que reprendra Joe en 2010 dans le talk show d’Oprah Winfrey : « Je les ai tenus éloignés de la prison ! » Il est vrai qu’à cette époque, vivre à Gary n’était pas une partie de picnic : le crack, les mafias… Mais comment expliquer, qu’à l’aveu même de Jermaine, aucun enfant Jackson ne se souvienne leur père dire un simple “Je t’aime” ? Il était cruel : « Il lui suffisait d’un regard pour vous terroriser », résumait Michael, à la même animatrice télé, en 1993.
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Des strip clubs à la Motown
En sept ans, le groupe des enfants s’est taillé une solide réputation. Il joue régulièrement dans les bars et les clubs de strip-tease du coin. Et Joe empoche de jolies sommes.
Avant chaque concert, leur mère Kathy – disciple des témoins de Jéhovah – frictionne vigoureusement le visage de ses enfants, avant de l’enduire de vaseline, pour qu’il soit bien propre, “beau et brillant”.
En 1968, ils sont repérés par la Motown, le label phare de la soul. Et, un an plus tard, c’est la grande Diana Ross, chanteuse star de The Supreme, qui prend les Jacksons sous son aile. Leur premier album fera l’effet d’une bombe. I want you back, Blame it the boogie, ABC… Que des tubes !
Mais déjà, c’est vers Michael que tous les regards se tournent. Pas de chance pour lui : parce qu’il est le plus doué, il subira plus que les autres la maniaquerie de Joe. Par instinct, Diana Ross coache l’ado, histoire de l’éloigner un peu du tortionnaire. Mais cela ne fait qu’isoler davantage Michael, véritable poule aux oeufs d’or, soumis à un rythme de travail effréné. « Quand je pense à mon enfance, confiera le King of Pop à Oprah Winfrey, je ne me souviens que du travail. » À peine revenu de l’école, il n’a pas le temps de poser son cartable qu’il faut partir au studio Motown. Là, il chante jusqu’à la nuit. « Il y avait un parc en face des studios, et il y avait souvent des gamins en train de jouer. Je les regardais, stupéfait de voir que les autres enfants étaient libres. »
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Big nose !
En 1975, les Jackson Five – et surtout Michael – sont devenus une véritable cash machine pour Joe, qui s’offre son propre label (Ivory Tower) et lâche la Motown pour de juteux contrats avec CBS Records et EPIC… multipliant ses royalties par 10.
Michael doit donc dire adieu à Diana Ross et retrouver l’emprise de Joe. L’homme le pousse à bout, à coup d’humiliations. « Big nose ! », crie-t-il à son fils, qui commence à développer un complexe et un trouble obsessionnel compulsif. Selon le magazine Rolling Stones, Quincy Jones l’aurait surnommé “Smelly”’ : le renifleur qui n’arrête pas de tripoter son nez.
Lors d’un de ses multiples procès pour abus sexuel, Michael Jackson déclarera à la barre : « J’ai toujours été déchiré : d’un côté (Joe) était un homme horrible. De l’autre, c’était un manager de génie. »
Les seventies réussissent à Joe, qui mène la grande vie. Autoproclamé producteur, il multiplie les auditions avec des jeunes et des jolies starlettes qu’il ne fait pas qu’écouter chanter. Les rumeurs ne font pourtant pas fuir sa femme, interdite de divorcer par les témoins de Jéhovah. Bientôt, Joe ne se donne même plus la peine de rentrer à la maison : à 47 ans, il s’installe chez sa maîtresse, la belle – et blanche – Cheryle Terrell, 25 ans (aujourd’hui décédée), avec qui il aura une fille prénommée Joh… que le clan Jackson répudiera au premier regard.
Les séquelles du passé
Joe goûte enfin à la gloire : il a le fric et les petites pépées. Il n’a plus besoin de ses enfants. Son emprise sur le groupe se desserre enfin. En 1979, il laisse Michael signer son premier album solo, Off the Wall. Trois ans plus tard, il le laisse quitter le groupe pour sortir Thriller. « Ce n’est pas facile de virer son propre père », dira Bambi à Oprah… mais, enfin, il est libre ! Et pourtant, l’ombre de Joe ne le quittera jamais.
Trop angoissé à l’idée de retomber sur son père, qui suit la carrière de Janet, Michael ne retravaillera plus avec ses frères et sa sœur pendant un bout de temps.
Peter Pan
Le souvenir de ces gamins qui jouent dans le parc le hante. Est-il atteint du syndrôme de Peter Pan ? Une maladie mentale – non reconnue – se traduisant par une immaturité affective. « Je n’aime pas Peter Pan. Je suis Peter Pan », déclare Jackson dans une interview télé en 2005. Le nom de son ranch ? Neverland, le monde enchanté du personnage de J.M.Barrie qui a inspiré Walt Disney.
Et puis, l’insulte “Big nose” résonne encore dans la tête de Bambi. Voilà l’origine des incessantes chirurgies du nez que s’infligera le King of Pop. « Michael voyait son nez comme un anorexique voit son corps, souligne un chirurgien de Beverly Hills au magazine Allure. Peu importait sa finesse, il lui paraissait toujours trop gros. » Le magazine Rolling Stones rapporte même qu’à son décès, il ne portait pas sa prothèse nasale. Selon le légiste de Los Angeles, il ne restait plus de son nez qu’un trou béant.
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Ni remord ni regret
« Je suis heureux d’avoir été dur, regardez ce qu’ils sont devenus ! J’ai fait des enfants que tout le monde adore ! » Joe sourit et croit avoir conquis le public d’Oprah. Nous sommes en 2011, deux années après le décès de son fils.
« Je ne l’ai jamais battu, plaidera-t-il ensuite au micro de la BBC. Juste un peu fouetté avec ma ceinture ! », avant de conclure : « Regardez ce que mes gosses ont accompli ! Je crois que les enfants doivent craindre leurs parents. »
Deux ans plus tard, voici qu’il s’étonne d’être honni par sa famille. Absent du testament de Michael, Joe se plaindra de ne pas être visité à l’hôpital, après ses crises cardiaques ou pendant sa chimio. Seule Janet, sa baby girl, fera l’effort de lui tenir compagnie.
Pourtant, quelques jours après la mort de son fils et juste avant d’exiger une rente de 29 000 $ par mois, Joe aurait (enfin ?) ouvert son cœur, dans une confession au quotidien allemand Bild : « J’aimais mon fils, et je l’aimerai toujours. Maintenant, quand j’entends Michael chanter, je pleure. » / Valérie Pol