Entrez dans la tête d’Antoine de Galbert, collectionneur d’art visionnaire, fondateur de la Maison rouge, une agora culturelle et éclectique, qui a fermé ses portes le 28 octobre 2018.

Illustration originale de couverture de Christelle Tea

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La Maison rouge était un lieu d’expositions singulières à Paris. Demain, elle deviendra peut être une énième Fnac. Mais Antoine de Galbert ne compte pas abandonner sa passion de la collection d’œuvres d’art. Voici pourquoi.

Avant, la journée d’Antoine de Galbert commençait toujours par une visite du “stock” : un espace réfrigéré, protégée par une porte blindée et gardé dans laquelle des centaines de caisses étaient entreposées. À l’intérieur se cachait à chaque fois un trésor. Un Dubuffet voisinait avec un dessin de George Widermer, un artiste autiste-asperger. Dans un coin, une biche empaillée de Nicolas Darrot dialoguait avec un reliquaire. Cette collection, inutile de la déballer, l’homme la connaissait par cœur, comme son reflet dans le miroir ou un autoportrait.

Mais aujourd’hui, l’entrepôt de la Maison rouge est vide. Sa fondation dédiée à l’art contemporain, installée sur le boulevard de la Bastille (dans le 13e arrondissement parisien), a fermé ses portes à la fin du mois d’octobre 2018. C’était un lieu unique et ludique, une usine à désir, un désordre sinueux, où de Galbert partageait sa passion pour l’art brut, religieux, primitif et la photographie, sans calcul ni stratégie. Il y montrait à plus de 100 000 visiteurs par an ce qu’on ne voyait pas ailleurs, ce que l’on aimait pas forcément mais que l’on pourrait, un jour, aimer.

Pour autant, le Grenoblois de 62 ans, qui se définit comme « un petit provincial amateur d’art », restera ce qu’il a toujours été : un galeriste futé, un collectionneur visionnaire et généreux mécène.

« J’aurais dû faire artiste ! »

Antoine de Galbert n’a que trois ans quand disparaît son père, Maurice, comte, compagnon de la Libération et naviguant de la marine marchande. De ce père biologique, il ne lui reste rien que… sa manie de collectionner, « sans doute liée à ce deuil précoce », selon son épouse Aline Vidal. “Antoine, poursuit-elle, ne veut pas perdre. Il garde. Et reste obsédé par la mort. ».« Les êtres humains disparaissent, nous trahissent, a-t-il un jour confié à un journaliste du Monde. Avec les oeuvres, c’est moins difficile. J’y ai trouvé ce que les hommes n’avaient jamais pu me donner. »

Dans les années 60, sa mère se remarie avec Charles Defforey, l’héritier du groupe Carrefour, qui adopte l’enfant. Lové dans le confort des propriétés grenobloises et du Château de Lucey, en Savoie, Antoine s’essaye au dessin, à l’aquarelle et se rêve en Hugo Pratt – dont le héros Corto Maltese, marin aventurier, lui évoque peut-être ce père disparu qu’il mythifie. Mais, conscient de son manque de talent, il lâche le pinceau, préférant collectionner les œuvres qu’il aurait aimé réaliser. En s’emparant de celle des autres, il va ainsi construire sa propre oeuvre.

À l’âge de 16 ans, il inaugure sa collection par une aquarelle de paysage dauphinois, acquise chez un brocanteur. Maintenant qu’il possède près de 2 500 pièces, il se dit qu’il aurait dû faire artiste. « Ça m’aurait fait dépenser moins d’argent ! »

Lové dans le confort des propriétés grenobloises et du Château de Lucey, en Savoie, Antoine s’essaye au dessin, à l’aquarelle et se rêve en Hugo Pratt

« Lové dans le confort des propriétés grenobloises et du Château de Lucey, en Savoie, Antoine s’essaye au dessin, à l’aquarelle et se rêve en Hugo Pratt »

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Galeriste

En tant qu’héritier du groupe Carrefour, son avenir est cependant déjà tout tracé : Sciences po Grenoble, puis contrôleur de gestion dans la boîte de papa. Il y tiendra huit ans. En 1987, Antoine plaque ce job-à-la-con pour ouvrir sa galerie à Grenoble, avec le soutien de son père adoptif. Charles Defforey, qui n’a rien du businessman inculte, s’avère être un mécène doté d’une immense culture classique.

À 32 ans, voici donc de Galbert, guettant le chaland à la vitrine de son estancot dédié à l’art contemporain. Une “fumisterie”, comme disent les snobs de son entourage. Qu’à cela ne tienne! L’autodidacte apprendra à défendre et montrer des oeuvres… qu’il ne saura pourtant jamais vendre. Aux heures de pointe du samedi après-midi, la galerie ne compte que deux clients. Désespérant. Et quand il s’agit de relancer un acheteur, c’est, pour lui, une épreuve épouvantable. Finalement, ce qui l’intéresse, c’est sa collection.

L’héritage qu’il reçoit – en 1997 – tombe donc comme une déclaration d’indépendance : bientôt, il n’aura plus à jouer au vendeur. Il prend tout de même quelques années pour « toucher des oeuvres », apprendre à les comprendre, mais aussi pour imaginer « quelques chose d’intelligent » à bâtir avec ce patrimoine : un lieu qui échappe aux excès du marché et du m’as-tu-vu.

Le collectionneur, derrière la porte… de la Maison rouge

La Maison rouge

Nous sommes en 2004. Sur une friche industrielle, en bordure du port de l’Arsenal, dans le sud de Paris, se trouve un lieu perdu, loin de l’industrie culturelle, des brouhahas de l’actu et du chalala vulgaire des nouveaux riches. C’est ici qu’il construit sa Maison rouge. De son passé de galeriste provincial, de Galbert garde une leçon : « Le monde de l’art est un immense fourre-tout où des gens passionnants et honnêtes côtoient des clowns dangereux. »

Il s’efforce donc, tout au long des 131 expos qui font le succès de cette maison, d’aller contre les excès du marché et le diktat des puissants du monde de l’art. D’ailleurs, le milieu de l’art l’ennuie : il n’apprécie guère participer à des jurys, ni de s’acoquiner avec les artistes (il réserve son amitié aux oeuvres). Il déteste donner des dîners et surtout parler d’argent. De l’argent, il n’en a d’ailleurs pas autant que les collectionneurs milliardaires qui dominent ce microcosme et le toisent.

Sa collection est une « tabagie »

L’intime, le collectionneur derrière la porte : tel sera le titre de la première expo de la Maison rouge. On y croise des oeuvres de Steve McQueen, de Damien Hirst, de Paul McCarthy, mais aussi d’Andreas Gursky, de Claude Lévêque et des frères Bouroullec. Une suite fantasmée et subjective d’oeuvres hétéroclites, de stars et d’inconnus. Une façon de baptiser cette espace et d’en faire le nid depuis lequel il donnera libre court à sa névrose d’accumulateur – sur laquelle il porte d’ailleurs un regard d’une grande lucidité.

« Je collectionne comme je fume. Ma collection est une tabagie », avoue de Galbert dans son livre Joseph et moi (Ed. Dilecta, 2011). Non, collectionner n’a rien d’un sinécure. C’est un état de manque permanent, une consommation impulsive, étouffante parfois. Ainsi, il collectionnera les coiffes ethniques de guerriers, de chasseurs et de chamanes jusqu’à nde e plus savoir où les conserver. Au bout d’un moment, c’est inévitable : ça prend trop de place. En avril 2018, il décide donc de s’en séparer au profit du musée Confluences à Lyon.

Errance visuelles

Le trop plein. Voici une des raisons qui explique la fermeture de la Maison rouge. L’autre serait une certaine lassitude. Organiser des expositions pendant encore 30 ans et mourir sur les planches n’intéresse pas le Grenoblois de 62 ans. Ne lui dites pas que c’était facile et qu’il s’est contenté d’hériter de plein de fric : gérer une fondation, c’est du lourd.

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Et demain ? Il souhaite aussi revenir aux sources, retrouver sa ville natale et aider son musée à acquérir quelques oeuvres contemporaines. Il compte aussi lancer un nouveau projet à Marseille, dans le quartier de la Belle de Mai, à destination des enfants des cités avoisinantes. Sans en dire plus. Libéré de la Maison rouge, il retournera peut-être à ses « errances visuelles », entrant au hasard dans une église, une galerie, un cimetière, un musée… à la recherche de la seule chose qui l’intéresse vraiment : « La trace de l’homme. » / Jacques Tiberi