La start-up francilienne Pack your skills propose à des voyageurs d’être hébergés en échange d’un coup de main dans une entreprise sociale ou une association. Pour l’heure, elle s’adresse principalement à des graphistes, des photographes et des vidéastes. Nous avons rencontré le fondateur et son associée.
C’est par hasard que j’ai appris l’existence de Pack your skills, en tombant sur un entretien du fondateur, Maxime Barluet, interrogé sur la webradio Omny.fm. Durant l’interview, il a évoqué une plateforme de « mise en relation des entreprises et des voyageurs » sur le principe du couchsurfing. Une innovation sociale qui a éveillé ma curiosité. Même si cela arrive de plus en plus, voir un ingénieur lâcher un job prometteur et lucratif pour se lancer dans l’aventure d’une start-up m’interpelle toujours.
Je contacte donc Maxime pour qu’il m’explique d’où lui vient cette idée et comment il a eu le déclic. « J’ai imaginé ce projet à la suite de mes belles expériences de wwoofing (tourisme rural) en Nouvelle-Zélande et d’un projet solidaire au Mali, me confie-t-il. Cela avait du sens : j’aidais des fermes, des lieux à se transformer, à mieux fonctionner. J’aimais l’impact que j’avais là-bas. Mais, j’étais en même temps un peu frustré de n’avoir utilisé que mes mains. En plus, je sentais que ces expériences avaient eu beaucoup plus d’impact sur moi que j’avais eu d’impact sur l’organisation, le management ou les valeurs des entreprises que j’avais rejointes. Je me disais que, si je retentais l’expérience du tourisme solidaire, je voudrais valoriser mes compétences d’ingénieur spécialisé dans le développement durable, pour avoir un impact plus fort« , poursuit-il.
Symbole d’une génération
L’ingénieur de 27 ans, diplômé d’une école prestigieuse, imagine alors un concept où chacun est libre de mettre ses compétences personnelles au service d’une initiative durable et solidaire de son choix. Il ne s’agit donc plus de wwoofing, où le voyageur aide le paysan qui l’héberge ni de tourisme caritatif, moins rural et où les organisateurs imposent des activités aux voyageurs, comme construire un puits ou donner des cours de mathématique à des enfants. Ce sont des limites qu’il entend dépasser, dit-il en affirmant s’inspirer du livre des entrepreneurs Sylvain Darnil et Mathieu Le Roux, 80 hommes pour changer le monde (JC Lattès). « L’ouvrage montre que dans n’importe quel métier et avec n’importe quelle formation, tu peux avoir un impact positif sur ton environnement. »
A côté de son job, Maxime participait régulièrement à des événements de l’association MakeSense, qui promeut l’entrepreneuriat social et solidaire. C’est durant ce genre de start-up weekend qu’il croise Isis Latorre, une blogueuse qui étudiait les moyens pouvant permettre de « se sentir plus épanoui au travail« . Le courant passe, la jeune femme accepte de se joindre au projet. Les profils semblent complémentaires. »Moi j’ai une vision plus technique et elle maîtrise parfaitement la com’« , me glisse, en souriant, Maxime. Pour l’instant, les compétences requises pour participer au programme sont la photo, la vidéo et le graphisme.
Jobs lucratifs
Demain, me précise l’entrepreneur, cela ira de la création de site internet d’une association, à la formation aux techniques d’agriculture biologique, en passant par l’apprentissage de la langue des signes. Pour le voyageur comme celui qui l’héberge, ce sera une façon de donner du sens à son travail et de l’associer au plaisir de la découverte d’un autre pays.Cette start-up, dont le modèle économique est fondé sur la notion de partage, symbolise la mutation qui touche les pays entrés dans l’ère post-industrielle : un concept développé en deux jours lors d’un start-up weekend par deux trentenaires diplômés de grandes écoles, qui ont abandonné des jobs lucratifs pour se consacrer à un projet, financé par du don et sur leurs indemnités Pôle emploi.
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Ils ont adopté un modèle de développement from scratch, sans business plan et à coûts hyper-réduits, grâce à des campagnes de crowdfunding ou sous perfusion de lovemoney (les sous de la famille et d’amis). Leur moteur ? L’envie de changer les choses et de s’accomplir dans leur passion. « Le travail peut devenir une véritable source d’épanouissement, mais, pour cela, il doit faire sens pour celui qui le réalise. » Tel est le credo de Maxime, qui se dévoile.
Je repense à un ouvrage que j’avais lu avant cette rencontre : La révolte des premiers de la classe (Arkhê Editions). Un essai dédié à la quête de sens des jeunes urbains, commis par le journaliste Jean-Laurent Cassely. Contacté par mes soins, il m’avait expliqué que « Maxime appartient à une génération qui mêle aspirations entrepreneuriales et réalisation de soi » et pour laquelle « les logiques de business et de développement personnel se rencontrent ».
Dans ce cas, le travail n’est plus « un moyen d’atteindre uniquement le confort matériel, mais un véritable prolongement de soi ». À l’été 2016, la jeune pousse a accueilli à Paris les trois premières packeuses. Venues de Serbie, de République tchèque et de Hawaï, elles sont spécialistes de photo, de vidéo et de graphisme. Au passage, l’une d’entre elles, Milica, a redesigné le site de Pack Your Skills « en l’échange de gîte et du couvert », ajoute la cofondatrice Isis, qui a rejoint la conversation.
Et beaucoup de choses ont changé
Aujourd’hui, Pack Your Skills recrute des ambassadeurs étrangers pour élargir son réseau à travers le monde, en faisant le pari de la « dupliquer l’expérience dans cinq villes européennes comme Berlin et Amsterdam », selon les mots d’Isis. Le rôle de ambassadeurs est d’identifier des start-ups ou des associations étrangères, dont les employés accepteraient de jouer le jeu de l’échange de compétences contre un B&B.
« Pour l’instant, explique Maxime, nous limitons les projets pilotes à Paris. » Lui-même étonné par la rapidité avec laquelle leur projet prend vie, Maxime nous confie avoir souvent en tête ce refrain qu’il fredonne : « Le temps passe et passe et passe / Et beaucoup de choses ont changé / Qui aurait pu s’imaginer que le temps se serait si vite écoulé ». La discussion touche à sa fin et Maxime a réussi à me remettre la (vieille) chanson des Nég’Marrons dans la tête. Très fort ! / Jacques Tiberi