Les projets d’abattages d’arbres se multiplient… “On détruit des terres fertiles pour bétonner”, lâche Alexis Boniface, coprésident du Groupe national de surveillance des arbres. L’architecte se mobilise au chevet des chênes et des hêtres, victimes en particulier de l’urbanisation. Le Zéphyr l’a rencontré à l’ombre d’un platane parisien.

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Lundi 20 avril 2022, à Paris. Plusieurs membres du Groupe national de surveillance des arbres se sont rapprochés de la porte d’entrée du ministère de l’Agriculture. Le grimpeur-arboriste Thomas Brail, à l’origine de la structure, fait partie de la délégation. Poliment, il demande qu’on l’ouvre afin que lui et les autres puissent s’entretenir avec le cabinet de Marc Fesneau, chargé de l’Agriculture (et des forêts) au gouvernement. En vain. Le ministre a beau avoir déjà accepté l’idée de recevoir l’association de défense des arbres, les portes resteront closes ce jour-là.

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Le GNSA repartira ainsi bredouille sans avoir une nouvelle date de rendez-vous. Plus tôt dans la journée, les gardiens des arbres avaient également essuyé un échec au ministère de la Transition écologique. Ils devaient y rencontrer les deux ministres en même temps, mais l’entrevue, pourtant calée de longue date, a été annulée au tout dernier moment… Thomas Brail était d’ailleurs encore dans le train lorsqu’il a appris qu’il ne pourrait plus voir les deux représentants du gouvernement.

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Le hic : Amélie de Montchalin, qui détenait alors le maroquin, a perdu la veille l’élection législative dans la 6e circonscription de l’Essonne. La fin de ses ambitions ministérielles, puisque Emmanuel Macron ne voulait pas de perdants au sein de l’exécutif.

Parler des coupes rases

Toujours est-il que, secoué par les résultats de la majorité présidentielle à ce scrutin, le ministère n’avait plus le temps de recevoir l’association pour évoquer les abattages d’arbres, tant en ville qu’à la campagne, ainsi que la problématique des coupes rases (ou coupes à blanc) et le fait que des forêts de feuillus sont remplacés, ici ou là, par des monocultures de résineux.

Autant de sujets que la structure voulait vraiment mettre sur la table, comme l’indique au Zéphyr Alexis Boniface, l’un des membres du conseil d’administration du GNSA présent ce jour-là, devant les grilles du ministère de l’Agriculture. “On voulait rappeler au gouvernement qu’il a à respecter l’article L350-3 du Code de l’Environnement. Il protège les arbres au bord des routes”, nous dit-il. Selon le document, ces derniers “constituent un patrimoine culturel et une source d’aménités, en plus de leur rôle pour la préservation de la biodiversité”. Ainsi, même s’il existe des possibilités de dérogation, il est bien spécifié que “le fait d’abattre, de porter atteinte à un arbre (…) ou d’en modifier radicalement l’aspect (…) est interdit”.

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“On bétonne les terres, c’est une catastrophe”

Pour autant, regrette Alexis Boniface, architecte de profession, “les projets d’abattage en région francilienne se sont multipliés ces dernières années”, estime-t-il. En premier lieu, dans le cadre de réaménagement d’espaces urbains, tant au bord des chaussées, qu’au niveau des places ou des trottoirs. En cause aussi : la construction ou l’extension de lignes de métro en banlieue parisienne et la préparation des Jeux olympiques en 2024. “On a beaucoup densifié. On détruit de nombreux arbres, on bétonne les terres. C’est une catastrophe…” Et de citer, en vrac, ces promoteurs (qui), sur des espaces privés, “achètent des terrains déclassés ou pas protégés, dans l’idée de raser les constructions entourées de jardins, pour y construire des logements”. 

Alexis pense en particulier à l’édification d’un solarium, qui a été au départ programmé en vue des JO (cela aurait servi d’annexe à la future piscine olympique)… sur une partie des jardins ouvriers d’Aubervilliers, en Seine-Saint-Denis. Après une rude bataille, la justice a bloqué le projet immobilier : les travaux ont été suspendus en mars 2022, puis définitivement enterrés. La mairie de la commune est aussi censée remettre en état les parcelles abîmées. “Tant mieux, même si des arbres fruitiers ont bel et bien disparu”, lâche Alexis, un brin soulagé tout de même par la décision.

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But de l’opération : défendre le Bois de Vincennes

Il passe d’un projet à l’autre. Son visage se ferme en évoquant ce qui se passe à l’est de Paris, entre Vincennes, Montreuil et Fontenay. Le syndicat des transports franciliens Île-de-France Mobilités entend prolonger la ligne 1 du métro et ouvrir trois nouvelles stations, dont Val-de-Fontenay en nouveau terminus. Avec cette intention de “désenclaver la zone” et de rattraper le RER A, notamment. Souci, d’après les opposants : les travaux obligeraient à détruire deux hectares en plein cœur du bois de Vincennes, puis à déclasser 4 autres hectares aux alentours, un espace sur lequel on pourrait ainsi intervenir et arracher des végétaux, si besoin. “Cela va impacter la faune et la flore, notamment des chênes remarquables de plus de 100 ans. N’y a-t-il pas d’alternatives ? On peut développer l’offre de bus notamment…” En avril 2022, la commission d’enquête publique sur le projet de prolongement de la ligne 1 a émis un avis défavorable. Mais il est juste consultatif, rien n’est joué. L’important, pour Alexis, c’est toujours de se poser la bonne question : “Qu’est-ce qu’on veut vraiment, qu’est-ce qui est important, au fond ?”

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Les destructions de platanes ou de chênes, au cœur des villes, irritent Alexis au plus haut point. D’autant que les protéger relève du bon sens, d’après lui. Alexis estime batailler “pour le bien commun”. “Quand on touche à un arbre, explique-t-il, on abîme une zone de biodiversité, puisque insectes et oiseaux s’y réfugient. On abat aussi un îlot de fraîcheur, une zone d’ombre utile en période de fortes chaleurs. C’est un climatiseur gratuit, et il nous permet en outre de lutter contre le changement climatique en captant les gaz à effet de serre”, précise Alexis, qui dit être subjugué par la beauté d’un hêtre ou d’un charme depuis toujours.

Sensibiliser les élus

Enfant, sur sa terrasse parisienne, il regardait les fleurs pousser. Un temps, il se voyait même paysagiste. Finalement, il a emprunté un autre chemin : sensible au bâti, au patrimoine, et, au final, à la nature, Alexis est devenu architecte indépendant, désormais plutôt sur des dossiers d’aménagement intérieur. Cet ancien bénévole à l’Institut Jane Goodall, dit-il, n’est pas un expert des végétaux, comme peut l’être Thomas Brail. Pourtant, on sent qu’il a pris l’habitude, depuis plusieurs années, et notamment depuis le lancement officiel du GNSA en 2020, de prendre la défense des arbres. Contre vents et marées, il répète à longueurs de journée les bienfaits des essences. Il sensibilise, n’oublie jamais.

Notamment pour convaincre les élus locaux, de tous bords, y compris les écologistes. Car, de manière générale, ils manquent de connaissances sur le sujet, et ce “même s’ils parlent beaucoup d’environnement”. Selon lui, ils devraient tous être formés aux enjeux d’urbanisme et d’écologie. “Ils aiment communiquer sur leur projet d’aménagement et expliquent souvent que la mairie va replanter ailleurs. Seulement, un jeune arbre est plus fragile qu’un adulte. En raison des périodes de sécheresse, il peut y avoir des pertes. Il faut s’en occuper, l’arroser avant qu’il ne devienne plus autonome après la croissance. Et puis c’est une opération assez onéreuse…” Alexis précise qu’on peut “épauler un arbre adulte, en prendre soin, guider sa croissance, mais on peut aussi le laisser vivre tranquillement”.

“On aime la nature bien rangée”

Voilà le souci : “En France, on aime la nature, mais on la veut propre, bien sage, bien rangée. On veut contrôler, maîtriser tout ce qui pousse, dit-il en pointant du doigt, durant notre échange, la pelouse d’un parc parisien, dans lequel nous nous sommes installés. Regardez, l’herbe est tondue à ras. Il peut y avoir de la vie, des pâquerettes, des insectes. Pourquoi veut-on toujours intervenir partout ?” Son message : il faut qu’on parvienne à lâcher prise et qu’on laisse les herbes folles à certains endroits…

Or, le problème, pour lui, c’est qu’“on voit encore trop souvent un espace vert ou un jardin comme une zone vierge inutile, qu’on peut rayer de la carte en vue d’une construction”… Et ça l’agace…

Parfois, le GNSA, qui regroupe près de 70 antennes locales dans l’Hexagone, arrive, via la mobilisation, à convaincre certains maires de ne pas procéder à des abattages, en somme, à gagner certaines batailles. Mais il avoue, il y en a tellement, des projets, qu’il est difficile de remporter des victoires à chaque fois. « Et on manque de moyens », indique Alexis, bénévole, comme les autres. Sur les réseaux, ils essaient de faire du bruit, de médiatiser telle ou telle affaire. Souvent ça prend, sur Facebook, en particulier !

La meilleure option ? Peut-être est-ce, tout simplement, de grimper à l’arbre. Thomas Brail en a pris l’habitude, pour protéger les arbres menacés. En 2019, pour tenter de sauver des platanes à Mazamet, sa commune dans le Tarn, il s’était accroché dans les branches d’un platane pendant quelques jours. Une initiative coup de poing, relayée dans la presse locale, qui avait d’ailleurs permis à Alexis de découvrir son combat. Une action réitérée notamment à Paris, cette année encore, pendant plusieurs jours. “Il a démarré une grève de la faim, on venait le voir pour savoir si on pouvait l’aider.” Ce qui est sûr, en tout cas, c’est que ce type d’initiatives “permet d’attirer l’attention”, sourit Alexis. Pas de gagner à tous les coups, hélas.

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“Les gens sont attachés aux arbres”

Au départ, Alexis se mobilisait dans son coin, à son compte : “Avant le lancement du GNSA, j’alertais sur les projets d’abattage via les réseaux sociaux, j’écrivais aux élus, mais je me sentais bien seul…” Une source d’épuisement ? “Je n’avais aucun poids. Cela peut être décourageant, oui. Agir au sein d’une équipe, quand on est entourés, cela permet de mutualiser les forces. On peut se battre ensemble, s’encourager…” En agissant de la sorte, il se sent utile. Alors, le bénévole poursuit la bataille, motivé, dès qu’il a un instant, en dehors de son travail d’architecte. “Je m’en voudrais de laisser tomber…” D’autant qu’il y a du boulot, des arbres continuent de tomber…

Il y a tout de même des motifs d’espoir. Elle germe, l’espérance ? Depuis plusieurs années, il note que les citoyens prennent de plus en plus conscience du changement climatique et ressentent l’envie de se reconnecter à la nature. “Je vois aussi que les gens sont attachés aux arbres. En découvrir un qui disparaît les attriste vraiment.” Surtout quand il faisait partie du paysage depuis de longues années. Une seule option : entrer en résistance. / Philippe Lesaffre