Abraham “Avi” Loeb, ex-patron du département d’astronomie de Harvard, traque des ruines extraterrestres aux confins de notre galaxie. Selon ses calculs, il pourrait bien toucher au but.

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Début 2019, Avi Loeb publiait, dans le Scientific American, un article montrant qu’un astéroïde aux propriétés étranges pourrait bien venir d’ailleurs. Je m’empressais alors de lui demander une interview.

« Je suis payé pour contempler l’univers, comprendre son origine et son avenir », démarre l’astrophysicien.

– « Bref, vous êtes un poète », répliqué-je, en souriant.

– « Oui, je pense que tout travail créatif est comparable, qu’il s’agisse d’art ou de science… »

À la fois scientifique et philosophie, Abraham Loeb a, tout comme Albert Einstein, l’art de transformer des recherches théoriques d’une incroyable complexité en « big story », immédiatement adaptable au cinéma.

Depuis sa dernière découverte, il a d’ailleurs reçu les appels d’une poignée de producteurs qui rêvent de réaliser un documentaire sur sa vie et son travail. On imagine déjà le titre : I’m the real Sheldon Cooper !, présenté par Jim Parsons, star de la-série-dont-les-nerds-sont-les-héros, The Big Bang Theory.

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« Enfant, je m’intéressais surtout à la philosophie »

Né en Israël il y a 57 ans, Avi Loeb participe, à 18 ans, au Talpiot Program : une formation militaire destinée aux « recrues à fort potentiel ». Six ans plus tard, à 24 ans, il obtient son doctorat de physique à l’université hébraïque de Jérusalem. Le titre de sa thèse ? “Accélération de particules à hautes énergies et amplification de radiations cohérentes par interactions électromagnétiques dans les plasmas”. Easy.

« Cela portait sur la physique des gaz chauds. Mon propos est de rendre la science et les scientifiques un peu plus faciles à comprendre. En fait, ce qui m’intéresse au départ, c’est l’univers. Ce qui est bouleversant dans l’univers, c’est son contenu. Notamment, le fait que les lois qui régissent la nature dans les expériences de laboratoire contrôlent également le comportement de l’univers à grande échelle. Pourquoi ? L’univers aurait très bien pu être totalement chaotique. La nature obéit bien plus rigoureusement aux lois physiques que les humains à leurs lois sociales ! »

Ces allers-retours entre sciences naturelles et morales rappelle les écrits des précurseurs de la philosophie des Lumières, Descartes et Spinoza. D’ailleurs, il affirme que l’astrophysique pose avant tout des questions philosophiques passionnantes. Et lorsqu’on on lui parle d’infini, c’est le mot de Baruch Spinoza qu’il site : “Dieu, c’est-à-dire la nature.” Une pensée qui, poursuit-il, « rend hommage à l’ordre remarquable présenté par les lois de la nature« .

« Enfant, confie Avie ensuite, je m’intéressais surtout à la philosophie. J’avais l’habitude de conduire un tracteur sur les collines de mon village et de lire des livres sur l’existentialisme. »

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Des milliards de soleils

De 1988 à 1993, Avi, de son petit nom, mène des recherches en astrophysique théorique à l’université de Princeton. Puis, il rejoint Harvard, décrochant le prix de la fondation Guggenheim en 2002 : une récompense exceptionnelle qui couronne ses travaux sur les trous noirs… et la recherche d’une vie extraterrestre. « D’après les données obtenues par le satellite Kepler, nous savons que chaque soleil est lié à une planète de la taille de la Terre avec une température de surface permettant à l’eau liquide d’exister. Or la Voie lactée contient des dizaines de milliards de soleils. Il y a donc autant de chances qu’une civilisation extraterrestre existe… que de graines de sable sur toutes les plages de la Terre. Nous ne pouvons pas être seuls ! Il doit y avoir de la vie ailleurs. Nous avons juste besoin de la trouver. Et j’ai bon espoir d’établir un first contact avant de mourir. »

Pour lui, en douter est un signe d’arrogance : « En réduisant à l’avance l’éventail des possibilités, nous ne pourrons jamais découvrir l’inattendu. » Lui préfère adopter une forme de “modestie cosmique”, selon laquelle, « le fait même que nous existions implique logiquement que nous ne sommes pas seuls ».

Avi Loeb va même plus loin : considérant que les civilisations ont une durée de vie limitée, il part à la recherche des vestiges de civilisations extraterrestres éteintes. « Mon espoir est que trouver ces reliques spéciales nous apprendra comment agir pour éviter un destin similaire. J’appelle ça l’archéologie spatiale. »

L’astéroïde Oumuamua

Et il pourrait bien avoir déniché sa première ruine interstellaire : un astéroïde appelé Oumuamua. Ce petit corps interstellaire en forme de cigare et de couleur ocre, a été repéré le 19 octobre 2017 du côté de la constellation de Pégase. Un an plus tard, dans un article publié par le Scientific American, l’astrophysicien explique que cet objet défie toutes les statistiques de référence sur les astéroïdes… et qu’il pourrait bien être constitué de débris d’un vaisseau ou d’une sonde extraterrestre. Un des principaux arguments de sa théorie : la trajectoire d’Oumuamua est différente de celle attendue en se basant uniquement sur la gravité du soleil : « Nous n’avons pas à faire à une comète ni un astéroïde typique », écrit Avi Loeb.

Cette théorie a déclenché une polémique, mais l’astronome se fiche de ce que les autres pensent. « Ma propre carrière m’a appris à suivre les principes en lesquels je crois. 1/ L’innovation et la prise de risques sont essentielles à la découverte. 2/ Les préjugés devraient être bannis de toute conversation scientifique. »

La seule chose qui l’étonne alors : pourquoi cette découverte n’a-t-elle pas fait la Une de tous les journaux ? Et puis, un jour, « l’article est devenu viral sur les réseaux sociaux ». Depuis, Avi reçoit quotidiennement plusieurs dizaines de demandes d’interview des chaînes de télévision, des radios et des journaux.

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De la physique à la philosophie, la boucle est bouclée

« Je suis né dans une ferme et je vois la science comme un privilège d’utiliser la curiosité de mon enfance pour comprendre le monde. » Cette éthique, il la partage avec ses étudiants, qu’il enjoint à « rester fidèle à la curiosité et à l’innocence de leur enfance, plutôt qu’à leur ego ». Une éthique qui l’a aussi conduit à s’impliquer dans deux grands chantiers : la “Black Hole Initiative” et le Breakthrough Starshot.

Le premier réunit des astronomes, des physiciens, des mathématiciens et des philosophes autour de l’étude des trous noirs. « De cette façon, la boucle est bouclée : j’ai relié la physique à mon amour pour la philosophie. » Avi publiera d’ailleurs bientôt son premier article pour une revue de philosophie.

Quant à l’initiative Breakthrough Starshot, il s’agit d’un programme de recherche pratique sur les « voiles solaires » : une technologie consistant à pousser une voile avec la lumière du soleil, de la même manière que celle d’un voilier est poussée par le vent. Une manière de permettre à un vaisseau spatial de progresser indéfiniment grâce à l’énergie solaire.

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Parfois, l’archéologue de l’espace s’interroge sur l’intelligence de notre civilisation. « Nous pourrions bien être la risée des civilisations plus avancées qui nous observent… », ironise-t-il, avant de retrouver espoir et de citer l’influent rabbin du XVIIIe siècle, Nachman of Breslov : « Le monde n’est qu’un pont très étroit, et la clé est de ne pas avoir peur du tout. »