Dans ses œuvres, l’artiste Pierre Marty vise à sublimer les trognes, des arbres ignorés, délaissés, mis de côté. Il nous invite à « repenser » notre regard sur la nature et les paysages.

« On a tous en nous une capacité de création. Enfouie au départ, elle se développe à l’adolescence… ou alors beaucoup plus tard », sourit-il. Chez Pierre Marty, ça s’est déclenché en 2017. Cette année, il voit sa maison brûler. Les poutres et les charpentes ont été calcinées. Il les a récupérées, puis a décidé de les transformer… en sculptures afin de leur « redonner de la dignité ». Revirement inattendu. Le formateur de métier y prend goût et emprunte, à plus de 50 ans, le chemin de l’art pour ne plus l’abandonner, lui qui n’avait jamais pratiqué jusqu’à présent. Depuis, Pierre (voir sa page Facebook) valorise le bois détruit par le feu, mais pas seulement.

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Des arbres ignorés

Il désire rendre les lettres de noblesse au bois délaissé qui a mauvaise réputation. Typiquement, la trogne qu’il aime mettre en scène. Le mot fait d’abord référence au visage, et normalement on s’en sert pour les insultes lancées à la figure, « tu as une salle trogne ». Or le mot désigne également des arbres ayant été exploités par les humains d’une façon spécifique. Ils n’ont pas été arrachés à la terre, ils ont été « préservés ».

Pour autant, afin de subvenir aux besoins en bois, en fourrage, en fruits, on leur a coupé régulièrement une partie du tronc ou des branches maîtresses, ce qui a provoqué la pousse de… rejets qui ont été récoltés. D’où leur allure si particulière… et leur image, il faut le dire, négative. « Ce sont des arbres difformes jugés ingrats », glisse Pierre. Injuste pour ces refuges de tant d’espèces animales.

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Or, l’artiste veut que ça change. Ces trognes, Pierre les met en scène pour qu’on arrive à « les regarder autrement ». Qu’on apprenne à les « affectionner », comme lui a su y parvenir à un moment donné. Typiquement, il a cherché à sublimer les trognes de la ferme de son ami Hugues Barrey, paysan éleveur à proximité de Saint-Sauveur-en-Puisaye, dans l’Yonne. Il les a intégrées à son parcours artistique et sentimentale d’un kilomètre « Divagation sentimentale dans les Metz » (en savoir plus). Quand on passe devant elle, un son s’enclenche. Une murmure de trogne, qui fait écho au passé : « Les anciens, dans le monde rural, grimpaient et se dissimulaient dans les trognes pour effrayer les passants », raconte-t-il. Mais il s’agit là d’inspirer les visiteurs, les faire réfléchir. Dans le chemin des trognes, on peut entendre plusieurs textes sur le thème de la biodiversité, des mots de Nietzsche, un poème de Barbara, quelque chose pour énumérer les hectares de bois brûlés dans les mégafeux dans le monde.

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« Les trognes, on les ignore, ajoute l’artiste, mais on ne se rend pas compte à quel point il figure dans le paysage, en bordure des champs, le long des routes, dans les villes. » Depuis quelques semaines, Pierre a installé l’une de ses créations à l’entrée du parc Monceau à Paris, qui restera au minimum jusqu’au 31 mars 2024, si ce n’est plus.

« On va dans le mur »

À travers sa démarche artistique, Pierre invite le public à se questionner sur notre place dans la nature. « On a une image fantasmée de la nature, estime-t-il, on a souvent l’impression qu’elle est ‘naturelle’, alors qu’elle est façonnée à l’image des humains, le paysage, les forêts, notamment… On n’est pas obligés néanmoins de tout détruire sur notre passage et de polluer les sols… »

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Il estime que son rôle d’artiste est de « susciter la curiosité », voire de donner envie de se mobiliser. « Si on n’a pas envie d’agir, on ne bougera pas. » Dans la ferme de l’Yonne, Pierre ne vise pas à créer de « support pédagogique », mais il entend faire passer des messages. Il met en lumière le vivant qu’on ne voit plus, et pas toujours les trognes. Par exemple un chêne majestueux frappé par la foudre il y a plus de 50 ans. Un feuillu toujours debout, et dont Pierre a voulu « travailler la cicatrice » afin de lui rendre hommage.

« Il est utile de prendre conscience de notre finitude afin de comprendre que la vie n’est pas éternelle, et qu’il faut en profiter sans tomber dans des délires consuméristes, d’accumulation de biens… » Il cesse de parler un instant, puis reprend son récit en affirmant que, pour l’heure, « on va droit dans le mur. » Mais c’est un peu la chronique d’une « catastrophe annoncée », selon lui : « Beaucoup tirent la sonnette d’alarme depuis plusieurs décennies. » Lui y contribue… toujours au plus près des arbres. / Philippe Lesaffre

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