Hiram Bingham, historien et explorateur, découvreur du Machu Picchu au Pérou, avait tout pour inspirer le personnage d’Indiana Jones, imaginé par George Lucas. Mais il pourrait cependant tout aussi bien incarner le méchant de l’histoire. Portrait et enquête historique.

les couvertures du Zéphyr

Juillet 1911. Le professeur Bingham, son stetson vissé sur la tête, est à bout de forces. Dix jours qu’il crapahute dans la jungle andine, à 4 000 mètres d’altitude, sur les traces de la cité perdue des Incas. Dix jours qu’il risque sa vie, à jouer les funambules, perché sur des ponts de fortune jetés au-dessus des torrents. Dix jours qu’il escalade les cols de la vallée de l’Urumba, rampe dans la boue, sous des pluies diluviennes, et se dégage à coup de machette d’étroits chemins, dans la végétation infestée de vipères.

Le soir, sous la tente, il relit la description du Pijchu faite, en 1565, par le conquistador Diego Rodriguez de Figueroa. Il cherche sur la carte la mythique Vilcapampa, la cité perdue des Incas. Une montagne secrète, devenue tombeau du dernier Inca Tupac Amaru, exécuté par les hommes de Toledo en 1572. Malgré les doutes de ses guides, il sait qu’il touche au but.

C’est beau, c’est loin

Vilcabamba

Ce récit, inspiré des biographies de Hiram Bengham, réalisées par son fils Alfred Bingham et par l’historien Christopher Heaney, retrace l’accomplissement du rêve fou qui habitait l’explorateur depuis 1905. Depuis que l’universitaire au corps d’athlète, diplômé de Yale puis de Havard, et professeur d’archéologie à Princeton, a parcouru l’Amérique latine, sur les pas de Simón Bolívar. Lors de ce voyage, Bingham racontera avoir fait la rencontre de l’Andin De Núñz, gouverneur de la région d’Apurimac.

L’homme lui conte une l’histoire qui va hanter son esprit : celle de Vilcabamba, la dernière demeure de l’empereur inca Tupac Amaru. À Lima, nous avons rencontré Paula Arias, une Péruvienne native d’Apurimac. Elle nous raconte, sur place, que la légende veut qu’en échange de sa vie, Tupac Amaru, ultime roi du vaste royaume inca, s’étendant du Pérou au Brésil, ait promis aux Espagnols autant d’or que sa geôle pouvait en contenir. Mais les conquistadors, trahissant leur parole, auraient volé l’or et assassiné l’Empereur. Peut-être le Trésor des Incas est-il encore caché dans les ruines de la cité perdue ?

Cette expédition, il la porte depuis 1905, étudiant, selon ses dires, les récits de l’espagnol Fernando de Montesinos ou de l’aventurière Eugénie de Sartiges. Il parvient aisément à la financer : les États-Unis souhaitent étendre leur zone d’influence en Amérique latine, et l’argent public coule à flot. Bingham se rapproche alors de l’université de Yale qui organise, comme le montrent des documents d’archives, une Peruvian Expedition, en compétition avec les universités de Harvard et de Stanford. Dès 1909, il s’installe donc dans la région de Cuzco, d’où il entreprend d’importantes fouilles, notamment autour des sites d’Ollantaytambo, de Choquequirau et sur le long de la rivière Apurimac.

Le dernier combat de l’Inca, par Emanuel Leutze en 1848

 Précipices de granit multicolores

D’après son récit, Bingham aurait rejoint le 24 juillet 1911 un fermier vers les monts de la Mandor Pampa. Ce dernier, soudoyé d’un sol, lui aurait désigné des ruines sur la carte. Mais il bruine, et nul ne veut se risquer à grimper la roche glissante qui mène au sommet. Seuls Bingham, son guide quechua Melchor Arteaga et le fermier feront donc l’ascension. Après deux heures de marche, ils croisent des familles de paysans, qui leur décrivent de vastes terrasses sur lesquelles on cultive le maïs, la yucca et des patates douces. Plus tard, l’étude de registres notariaux espagnols montrera que ces familles étaient déjà sur place en 1595.

Puis, Pablito, 11 ans, un enfant du village, les conduit aux terrasses de culture. Là-haut, Bingham reconnaît les restes de bâtiments : de larges murs de granit blanc rappelant ceux du Temple du Soleil, à Cuzco. « Je ne connais aucune place dans le monde qui puisse s’y comparer », écrira un peu plus tard l’aventurier, subjugué par les « précipices gigantesques de granit multicolore qui s’élèvent à des milliers de pieds au-dessus des rapides mousseux, brillants et rugissants ».

L’explorateur vient de trébucher sur le Machu Picchu. Serait-ce l’ultime sanctuaire des Incas ? Le cite est alors recouvert d’un manteau de végétation et de mystère. Il lui faudra deux ans pour en délivrer une infime partie. Aujourd’hui encore, les archéologues péruviens considèrent que 80 % du site reste à explorer. En 1913, les photos du site sont publiées dans la National Geographic Revue. Bingham devient alors l’un des explorateurs les plus importants de l’histoire, et son nom est à jamais associé à l’une des 7 « nouvelles » merveilles du monde désignées par l’Unesco en 2007.

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Dr Jones et Mr Bingham

L’archéologue attendra 30 ans pour raconter cette aventure digne d’un blockbuster hollywoodien. C’est après une carrière dans l’armée et la politique – comme gouverneur puis sénateur du Connecticut – qu’il revint à sa passion pour l’histoire, et publia l’ouvrage Lost City of The Incas (Pygmalion). Ce livre inspirera le scénario du film Secret of the Incas, avec Charlton Heston. À en croire la théorie de l’historien Christopher Heaney, c’est en voyant ce film que George Lucas aurait imaginé le personnage d’Indiana Jones : un historien-explorateur, athlétique, courageux et sexy, à l’opposé de l’image traditionnelle du prof de fac de bibliothèque.

La connexion entre Hiram et Indy serait donc indirecte… voire purement esthétique. Car les deux hommes n’ont vraiment pas le même sens de l’éthique. Dans le fond, Bingham aurait davantage des airs d’Emile Belloq, l’archéologue némésis d’Indiana Jones dans Les aventuriers de l’arche perdue.

 Némésis

En effet, selon l’historien Jorge Flores, interrogé par la BBC, « Bingham n’a pas découvert la citadelle inca. Il s’est contenté de la faire connaître au monde et s’est attribué tout le mérite ». Une enquête, publiée en 2008 par l’explorateur américain Paolo Greer, montre effectivement que la (re)découverte du Machu Picchu date, en réalité, des années 1860, et revient à l’ingénieur allemand Augusto Berns. Ce dernier acheta même des parcelles du terrain, pour y établir une société d’extraction de bois, nommée la « Huaca del Inca« . Une entreprise soupçonnée d’être la couverture d’une gigantesque opération de pillage du site. Dès 1874, une carte de l’Allemand Herman Gohring aurait même pointé la montagne sacrée.

Ce document, publié en 1880 par l’historien français Charles Wiener, dans son récit Voyage au Pérou et en Bolivie, était tout à fait accessible à Bingham. Puis, en 1901, trois Péruviens – Lizarraga, Sanchez et Palma – défrichèrent les lieux, où ils laissèrent de nombreuses traces de leur passage, gravées dans des rochers. En 1913, Bingham reconnaîtra aussi avoir « effacé des murs la signature de visiteurs péruviens ». Son récit de la découverte du Macchu Picchu ne serait-il qu’une légende, un mythe destiné à servir les seuls intérêts de l’explorateur ?

@nationalGeographic

« Un grand communicant »

Car, dans le contexte de l’époque, Bingham peut aussi être vu comme un agent de l’impérialisme américain en Amérique latine. C’est du moins ce que suggère, dans les colonnes du bulletin culturel du ministère des Affaires étrangères péruvien, l’historienne Mariana Mould de Pease, pour qui « on pourrait reprocher à Bingham de ne jamais avoir partagé les fruits et les bénéfices de sa découverte avec les Péruviens qui l’ont aidé ».

Pire, il aurait pillé sur place plus de 45 000 objets archéologiques dont le Pérou exigera la restitution un siècle durant. En 2010, l’intervention de Barack Obama auprès de l’Université de Yale, a même été nécessaire pour que les pièces soient renvoyées au Pérou, où les plus belles sont désormais exposées au musée de Cuzco.

Dans une interview accordée à la chaîne Andina, Mariana Mould de Pease n’a donc reconnu qu’un seul mérite à l’explorateur américain : celui d’être « un très grand communicant ». Mais, aujourd’hui, selon notre contact à Lima Paula Arias « les Péruviens ont oublié cette affaire ». / Jacques Tiberi

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