Le rock français un bel avenir devant lui. La preuve, avec Cachemire. Montez le son ! Éducation, religion, écologie : Freddy, le chanteur du quatuor nantais, tape fort, et ça claque !

Ceci est un extrait du numéro spécial rock. Découvrez le sommaire.

La première scène, en noir et blanc, ouvre sur un salon, cosy. Puis le son de la guitare, entraînant, chaud, rapide. Soudain apparaît le chanteur de Cachemire, moustache finement dessinée, cheveux gominés. “On m’a vu dans le Vercors.” Allongé dans un lit, Freddy balance le texte de Bashung, tel un élève audacieux. Son groupe détonne, étonne avec sa version ultra rock de La nuit je mens. Fana des Stones, d’AC/DC, de Green Day, mais aussi de Gainsbourg, il produit, avec ses potes, “du rock énergique, chanté en français”. Bim !

les couvertures du Zéphyr

Le Zéphyr : Comment vous êtes-vous lancés dans la musique ?

Freddy : C’est une histoire de potes. On fait de la musique car on a baigné dedans tout petit.

Pourquoi du rock ?

On a beau essayer de faire autre chose, on n’y arrive pas. (Il se marre.) On ne fait pas ça en se disant : tiens, y a un créneau à prendre. Pas du tout. C’est ce qui sort. Et on chante en français. C’est un challenge, une contrainte, quand on fait du rock.

Pour quelles raisons ?

Car on n’est pas dans les codes de la tendance actuelle. Français et rock, c’est has been pour le grand public. Et c’est aussi plus dur d’écrire en français qu’en anglais car il faut qu’il y ait un sens et que ça sonne bien. En anglais, le sens n’est pas forcément obligatoire : si on traduit certains textes en français, ça pique les yeux. (On rigole.) Enfin, on a des choses à dire dans nos titres, et on ne veut pas les dire en anglais. J’ai grandi avec Brel, Ferré, Brassens. On a une langue tellement magique.

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« Après les attentats, j’ai changé les paroles »

On parle de rock, mais vous avez repris Bashung…

Absolument, La nuit je mens. Et aussi Banana Split de Lio. Ce qui n’est pas le même délire !  Malgré son image populaire, elle a sorti un titre érotique à 16 ans, ce qui est hyper rock’n’roll. Mais le rock, vintage ou actuel, reste notre influence principal.

En parlant de rock vintage, vous avez bossé avec feu Dick Rivers : comment ça s’est fait ?

C’est parti d’une interview radio, sur France bleu, pour la promo de notre premier album. Dick l’a eu pour cadeau. Il l’a écouté puis m’a envoyé un SMS de félicitation. Après, on a bu un café. Et il m’a dit qu’on devrait faire un truc ensemble. Et voilà comment ça s’est fait ! Il y a eu peu d’hommages à la mort de Dick – il avait quand même lancé Coluche en le mettant en première partie, alors que l’humoriste n’était pas connu. On a de lui cette image populaire, rock has been, alors que c’était un vrai Johnny Cash à la française.

Racontez-nous un souvenir de lui…

Je peux évoquer le tournage du clip de Qu’est-ce qu’on attend ? avec Dick et Didier Wampas, trois jours après le 13 novembre 2015. C’était prévu à Paris, place de la République (dans le quartier où les attaques ont eu lieu, ndlr). Le soir, après les tueries, j’ai changé les paroles de la chanson. Et, le lendemain matin, les autres m’ont tout validé. On a déclaré la guerre avec les guitares et les crayons.

« Le punk, c’est une façon de vivre »

Vous vous considérez comme un groupe punk ?

Non. Le punk c’est plus que du rock, c’est une façon de vivre. On n’est pas des punks anarchistes. Mais ce qu’on dit dans nos chansons est assez punk. On a un franc-parler et on est assez “bruts”.

Alors, comment vous définissez-vous ?

On reste humbles en disant que l’on fait du rock chanté en français. Souvent les journalistes nous mettent des étiquettes. On ne leur en veut pas. Parfois, c’est marrant. J’ai lu une fois qu’on faisait du “punk’n’roll”. Sur scène, on va nous assimiler à un groupe de punk. Donc, la formule est pas mal. Une autre fois, j’ai lu “pop’n’punk”. Marrant aussi. Pour vous dire, on essaye sur scène de balancer une dose d’énergie rock, sauce française. Après, certains vont considérer que c’est plus punk, d’autres vont dire “populaire”.

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« On s’en prend à l’Éducation nationale »

Et le rock, c’est quoi pour vous ?

Souvent, de gros artistes, ceux qui sont sur les plus grosses scènes, répondent à un cahier des charges marketing. Et ce n’est pas rock. Aujourd’hui, être rock n’est pas que sniffer de la coke et se faire des meufs à chaque sortie de concert. C’est faire de la musique comme on l’entend. Sans cahier des charges.

Qu’est-ce qui vous influence dans vos textes ?

L’actu et la société. Exemple, les faits de pédophilie, à vomir… Je me demande comment on peut franchir le seuil d’une église le dimanche matin en ayant vent d’actes aussi atroces.

Come on baby, le premier titre du album, est dansant et léger, mais on parle de robotisation des enfants, on s’en prend un peu à l’Éducation nationale.

En général, en concert, je fais applaudir les parents qui emmènent les enfants en concert. Ils font écouter – peu importe le genre musical – des titres qui ne passent pas forcément à la radio. Et les gamins arrivent à l’école et ils écoutent des fables plan-plan ou débiles. Pour apprendre l’anglais, on pourrait écouter des titres des Beatles comme Yesterday ou Let it be.

On fait passer des messages avec ironie, parfois. On chambre notamment les groupes de rock français qui chantent en anglais avec un accent à couper au couteau (la chanson Yogourt, dans le 2e album).

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« Écrire sur Cantona ? Un rêve de gosse ! »

Vous consacrez aussi un titre à Eric Cantona… Qu’est-ce que vous aimez chez lui ? 

Tout ! J’ai toujours voulu écrire sur lui, c’est un rêve de gosse ! Quand j’avais 6 ou 7 ans, j’avais l’impression de voir une rockstar arriver sur la pelouse. Il m’a fait aimer le foot. Et quand il n’a pas été sélectionné à l’Euro 96 ou au Mondial 98, j’ai moins aimé le foot ! Ce que j’aime, c’est le spectacle, et Ronaldinho ou Roberto Carlos par exemple, nous en offraient. En France, Cantona était le seul à nous en donner. C’était du spectacle brut, à l’anglaise. J’aimais bien aussi son col relevé. Et ses interviews n’étaient jamais débiles. En fait, il faisait ce qu’il avait envie de faire, et tant pis pour l’image.

cachemire déclare la guerre avec des crayons et le son de punkLa cover du dernier album, c’est une mamie qui fait un doigt d’honneur. Mais qui est-elle ? 

Mamie Germaine, c’est la mamie de notre régisseur ! C’est le fil conducteur de l’album. Si je reprends le nom du disque C’est qui la punk ?, la punk, c’est celle qui a résisté pendant la guerre, s’est battue pour avoir les congés payés, s’est occupée des enfants à charge toute la journée. Sur certains titres, elle se moque de nous ; sur d’autres, elle nous raconte des histoires.

Aujourd’hui, on parle d’écologie. Mamie Germaine a toujours été plus écolo que nous, avec ses toilettes sèches et ses poules. Elle n’a jamais regardé d’écrans deux heures par jour – ces deux heures, elle les a passées dans son potager ou à se battre, car elle a été révolutionnaire.

« La Terre va brûler »

Vous écrivez des textes sur l’environnement ?

J’ai du mal à écrire là-dessus. Je suis défaitiste – la société dont je fais partie me déçoit. Il faudrait changer toute notre vie. Ce n’est pas en installant deux-trois panneaux photovoltaïques qu’on va changer la donne. On peut certes limiter la catastrophe, retarder l’échéance. Mais on est dans une crise incroyable, et on préfère penser aux sous-sous et aux frontières, vu le résultat des européennes, en France comme ailleurs. Et je ne m’y reconnais pas. Mais on fera quoi quand la Terre va brûler ? J’admets que c’est un discours utopiste…

« On vend des bières en concert »

Vous êtes écolo, donc…

On défend des valeurs, mais on ne veut pas se ranger derrière un parti. On ne propose pas de meeting politique, on ne veut pas donner de leçon. Car n’oublions pas qu’un concert est un moment fun. On veut que les gens oublient la m… On leur concocte des teufs. On est là pour se marrer et pour envoyer une bonne dose d’énergie. Ça chante, ça gueule, et c’est cool !

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Vous vendez des bières, on a vu : racontez-nous…

Souvent, les gens en concert, pour aider, achètent 1, 2, 3, 4 albums. Je leur dis : arrêtez. Mais ils répondent : que dois-je faire alors ? Le point commun des gens qui achètent l’album, c’est la bière. Voilà une idée : produire une fine mousse. J’en ai parlé à un brasseur, et il s’est lancé. En achetant un pack de bière Fuck baby (la marque de Cachemire), vous avez un album gratuit. On redonne goût à l’objet dans un contexte de crise. /Propos recueillis par Philippe Lesaffre

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EXTRAIT DU MAG SPÉCIAL ROCK